«La Promesse de l’Aube» s’inscrit d’office dans cette catégorie.
Portrait croisé d’un amour inconditionnel, le maternel façonnant à jamais le filial, Romain Gary s’y découvre dans toutes ses fragilités, sa grandeur, son courage.Il y évoque sa mère dont la vie d’abnégation et de sacrifices a chez lui «entraîné une farouche idée de redresser le monde et le présenter à ses pieds».
Souvent considéré par Lulu comme une solution de facilité, une recette théâtrale économique aujourd’hui largement pratiquée, la «formule» peut aussi réserver de merveilleux moments de «redécouverte» de certains chefs d’œuvres. Jacques Seyres dans Proust, Patrick Timsit dans «Le livre de ma Mère» d’Albert Cohen, Bruno Abraham-Kremer dans «La vie est une géniale improvisation» de Vladimir Jankelevitch.
Lue par Stéphane Freiss, «La promesse de l’Aube» s’impose aussitôt comme un moment unique.
Toujours empreint d’humour, dénué de tout cynisme, pétri de tendresse et d’humanité, foisonnant des excès maternels et d’illusions enfantines, mêlant les rires aux larmes, de ce précipité de cocasseries et tragédies naît un bouleversant récit.
De cette mère insensée, nourrissant les rêves les plus fous pour son fils, poussant son amour jusqu’à lui écrire, mourante, deux cents cinquante lettres enflammées d’admiration adressées à l’aviateur héroïque, Romain Gary tire cette déchirante conclusion:
«ll n’est pas bon d’être tellement aimé, on croit que ça existe ailleurs. Avec l’amour maternel la vie vous fait une promesse qu’elle ne tient pas. Il n’y a plus que des mirages partout où vous allez».
Admirablement contrebalancée par cette autre constatation magnifique «quelque chose de son courage était passé en moi, je l’ai conservé».
Dans sa présentation du texte, après avoir évoqué non sans humour la vie de Romain Gary, Stéphane Freiss précise son choix porté sur les passages les plus comiques du livre.
D’une touchante proximité avec l’auteur, tout en sobriété, naturel, élégance, l’interprète donne vie, de façon confondante, aux différents protagonistes du récit, restituant savoureusement les accents slaves ou méridionaux, sachant éviter toute emphase dans les passages les plus dramatiques;
il souligne avec finesse toutes les facettes de ces deux authentiques «personnages» si attachants,
destinées hors norme, caractères multiples, complexes et confrontés à tant d’épreuves et de déchirements.
Sur scène, juste deux beaux fauteuils cramoisis. L’un sera occupé par le comédien, l’autre restera vide, définitivement.
Sans presque se servir de son texte, simplement assis, le comédien, accompagné de son chien Roméo qui le rejoint sur le plateau au début du spectacle pour y demeurer sans broncher jusqu’à la fin, se contente de tourner des pages qu’il tient en main sans nul besoin de les lire.
Nuances modulées suivant les circonstances, intonations évoluant avec justesse à chaque épisode, seule sa voix suffit à vous emporter dans ce flot d’aventures rocambolesques, romantiques, héroïques, pathétiques pour aboutir à ce définitif sentiment d’abandon, de trahison, d’irrémédiable solitude évoquée au prisme d’une hilarante dérision.
Rarissimes pareils bonheurs, une heure trente de lecture passées en un souffle;
Avalanche d’émotions, éclats de rires en rafales la «promesse» d’un soir exceptionnel.
Impérative prescription de Lulu.