Sur scène, avec pour unique accessoire une «servante» (au théâtre, la lampe toujours allumée qui veille sur le lieu déserté), il nous propose de partager sa petite madeleine, origine de sa vocation de comédien: le plaisir d’interpréter des histoires, souvenir d’enfance des lectures «animées» que faisait sa tante.
Pour débuter ce soir-là son choix s’est porté sur «Les mots que j’aime» de Jean-Michel Ribes.
Glanées dans ce florilège d’incongruités, toutes inattendues, cocasses, absurdes: une ode d’amour à l’artichaut, le mot «machin» défini comme le plus précis de la langue française, la célébration des propriétés apaisantes du «flou».
L’humour noir caractérise la constatation qu’«A chaque tremblement de terre, les gens qui ont la Parkinson se croient guéris» et à propos de l’âge, cette jolie affirmation: «le mien est fixé à quatorze ans».
Digne de Feydau, particulièrement savoureux, l’épisode autobiographique de cette fuite suivie d’une longue attente perché entièrement nu sur le toit de l’immeuble de sa maîtresse afin d’échapper à la fureur de son rival.
Détonnant mélange de folie et de fatalité, l’évocation de son unique collaboration avec le Français pour «La Cagnotte» de Labiche.
Confronté successivement à deux Secrétaires Généraux, pénétrons dans le bureau entièrement décoré de meubles XVIIe.
Jean le Poulain y apparaît dans tous ses excès et sa «fantaisie»: explosant dans une colère homérique avec un interlocuteur inconnu au téléphone et enchaînant dans un twist juché sur son bureau d’époque en chantant: «Ha les P’tites femmes de Paris». La nuit suivante il rendra son dernier soupir... .
Afin de finaliser la distribution, un nouveau rendez-vous a lieu, avec son successeur Antoine Vitèz, personnalité sombre, raide et silencieuse, à l’opposé de Jean Le Poulain.
Proposé par Jean-Michel Ribes, Jean-Luc Bideau sollicité au téléphone, s’esclaffe, haut parleur branché, et qualifie de «Croque--mort» et autres gracieusetés le nouveau secrétaire général.
Rompant un long mutisme, laconique celui-ci statuera, «Il finira par accepter».
Jean-Luc Bideau restera neuf années au Français.
A l’image de Le Poulain, Vitèz connaîtra le même sort funeste. Il meurt huit mois seulement après sa nomination.
Prudent, Jean-Michel Ribes ne renouvellera pas cette collaboration.
Tour à tour caustique, goguenard, ou impassible, Pierre Arditi semble prendre autant de plaisir que le public à l’énoncé de ces définitions et anecdotes cocasses et hilarantes.
Persuasif soudain, il n’hésite pas à s’interrompre pour offrir une de ses pastilles contre la toux à une spectatrice prise d’une quinte inextinguible.
Motivé par l’affection particulière portée à Yasmina Reza, l’auteur d’Art dont le comédien fut l’un des créateurs, suivra un récit tiré d’un de ses livres:
l’évocation grandiose d’ une séance de courses au supermarché à l’heure de grande affluence.
Banale, mais parfaitement observée et analysée, cette nouvelle prend tout son relief lue par le comédien complice de la gent masculine.
Chacun pourra se reconnaître dans l’ épreuve douloureuse vécue par les hommes face à l’irrédentisme et au caprice féminin.
Cauchemar sous les néons, dans la foule et la chaleur, désaccords grandissants quant aux articles accumulés dans le caddy, pitoyable tentative de fuite pour échapper à l’enfer, fatalité de l’attente aux caisses. Engrenage fatal, résignation, dispute, révolte s’enchaînent.
Pour triompher de l’adversité, arme fatale inespérée: le charme féminin.
Seul, il permettra la réconciliation des adversaires.
Abandonnant toute causticité, soudain émouvant, Pierre Arditi prend congé affirmant ne «Jamais renoncer» à son métier.
Une belle promesse, admirablement tenue.
Il faut aller «entendre» Pierre Arditi.
Il demeure irrésistible.
Le choix de ses textes aussi.