Acteurs inaudibles, jugement compromis.
«La Mort de Danton» vient de nous en donner une nouvelle et déplorable illustration.
Inacceptable, injustifiable.
Pièce grandiose de Georg Büchner, enfin entrée au répertoire du Français,
foisonnante évocation de la destinée humaine et de ses multiples interrogations: rapport à la mort, à la vie, à ses idéaux, à la fidélité, l’amitié et à la trahison.
Quand la plus grande partie des dialogues, et des ... monologues, échappe au public dès que les acteurs lui tournent le dos ou bien vocifèrent,
L’ennui devient pesant, le découragement inévitable.
Rage de n’entendre que par bribes un texte d’une rare puissance lyrique, d’un romantisme assumé, d’une sensibilité profonde,
Un somptueux décor d’un salon aristocratique (scénographie de Simon Delétang) sert de cadre à l’action. Une ouverture à jardin servira d’entrée au peuple, un œil de bœuf peint s’ouvrira sur l’apparition d’un Robespierre, tel le Commandeur dans Don Juan, le remplacement du mobilier par des banquettes évoqueront l’Assemblée puis le Comité de Salut Public ou le tribunal révolutionnaire, la paille déversée, la prison de la Conciergerie.
Très étudiés, aussi d’époque, les costumes de Marie-Frédérique Fillion.
Le rideau s’ouvre sur une soirée de débauche.
Viveurs, buveurs, Danton et ses amis s’y livrent à tous les excès, suscitant néanmoins des interrogations profondes chez ces protagonistes blasés.
Constat désabusé de Danton:
« Nous râpons seulement nos cuirs grossiers l’un contre l’autre, nous sommes très seuls »
Lassitude de la violence chez d’autres:
« Il faut que la Révolution s’arrête et que la République commence».
Beau prologue à l’inéluctable dénouement tragique que chacun connaît.
Victimes de la jalousie de Robespierre, l’Incorruptible surmontant ses remords, fera basculer en sa faveur le tribunal révolutionnaire. Danton et ses compagnons monteront à l’échafaud.
Miettes glanées, quelques répliques entendues à la volée donnent cependant la mesure de l’immense talent de Büchner, poète « révolutionnaire » à l’écriture percutante,
« Vous voulez du pain et ils vous jettent des têtes ».
Analyste lucide:
« Nous n’avons pas fait la Révolution, c’est elle qui nous a faite » dit Danton,
ou glaçant portraitiste de Robespierre qui assène :
« Il faut que la vertu règne par la terreur.
Grêle freluquet s’agitant ou roquet aboyant, jamais crédible, Loïc Corbery est un affligeant Danton. Déjà «Misanthrope»sans intériorité, il renouvelle la «performance».
Rigidité caricaturale, sanglé dans son impeccable costume de soie pékinée, sous sa perruque poudrée à frimas, ou en solitaire hystérique explosant dans son monologue de doutes, Clément Hervieu Léger ne se montre guère plus crédible en Robespierre.
Privés de la présence, de Guillaume Gallienne attendu et espéré en Saint Just, ( l’alternance soigneusement dissimulée sur le programme),
Seule Marina Hands nous restitue, un court moment, avec beaucoup de sensibilité et d’émotions le drame vécu par la grisette Marion.
Gratifiés d’une guillotine d’un or scintillant au couperet de vif argent s’élevant du sol, d’un bourreau torse dénudé et tête de taureau aux cornes aiguisées, ( symbole du Minotaure en référence aux nombreuses évocations du monde antique contenues dans le texte? )
les condamnés apparaissent tels les bourgeois de Calais.
La scène s’apparentant aux productions d’un Stellio Lorenzi de feu l’ORTF.
Une pathétique trahison d’une fin dramatique.
Cuisante déception,
Constat navrant.