« La Dame aux jambes d’azur » avait disparu des affiches depuis sa création au Théâtre du Palais Royal en 1857.
Destinée aux interprètes « attitrés » de l’auteur (tous les personnages portent chacun leur nom) cette courte pièce est une parodie du drame romantique fort à la mode à l’époque, prétexte à caricaturer le monde théâtral.
Dès l’ouverture, la catastrophe est annoncée : après quelques notes d’un prologue musical discordant, un lever de rideau hasardeux et les trois coups mal frappés, l’auteur solennellement drapé dans la pourpre d’ une robe oxfordienne annonce au public l’annulation de la représentation lui proposant d’assister, avec bienveillance, à une ultime, indispensable, répétition avec l’ensemble de la troupe.
Premier visé par la satire : l’auteur et metteur en scène de l’immortelle » Dame aux jambes d’azur ». Pas peu fier d’avoir « écrit en douze jours, sans une rature, les quatre cent trente pages de la tragédie » qualifiée « d’ordure » par le directeur du théâtre qui n’a pas mis moins de cinq années à statuer sur le texte. Arnal , n’est pas à un cuir prêt dans la conception de son drame qu’il situe dans « La foret à Venise » au milieu des « Lacunes ». La présence et les observations justifiées de son camarade Ravel, comique troupier venu assister à la répétition, recevront en guise de remerciements le dédain méprisant d’Arnal sur de son fait.
Loin de se décourager, notre auteur n’a pas fini d’affronter les multiples difficultés qui l’attendent aussi bien avec le machiniste, (analphabète remplaçant aussi le souffleur indisposé) et l’ensemble de la troupe davantage préoccupée de ses caprices et problèmes personnels :
Prise d’une soudaine fringale la Princesse entre en scène dévorant une saucisse, son tricot à finir à la main :
« Garde ton tricot mais ajoute-y un grain de passion » l’encourage-t-il.
le doge, se souvenant soudain de son déménagement, part en catastrophe à la recherche d’une logeuse, quant au Chevalier et au du Duc, costumés en culotte à crevés et cuirasse, ils répètent le duel leurs chiens en laisse afin de calmer les ardeurs belliqueuses de ces petites bêtes :
« Un griffon dans une pièce littéraire ! on mutile ma pensée » se scandalise-t-il.
Entre burlesque échevelé et comique de l’absurde poussé au paroxysme, la folie régnant sur scène nous entraine, tambour battant, et sans un instant de répit, dans la plus folle aventure comique.
La troupe du Français interprète cette joyeuse pochade. Aux côtés de Gilles David, Arnal l’auteur, Pierre-Louis Calixte se distingue avec brio dans le rôle de Ravel, l’ami comique troupier. Lui seul nous apporte ce rythme, cette aisance, ce comique naturel inhérent à l’œuvre.
Surprenant et regrettable, le reste de la troupe parait comme bridée, retenue, dans l’expression d’une cocasserie qui ne s’exprime pas pleinement. Impossible de ne pas évoquer le souvenir des grands ainés, Jacques Charron ou Robert Hirsch pour ne citer qu’eux.
La faute incomberait-elle au metteur en scène Jean-Pierre Vincent ?
Je m’interroge : peut-être est-il un pisse-froid ?
Peu importe.
Le texte est étincelant.
Comme tous les grands bonheurs, ces cinquante -cinq minutes de représentation nous auront paru bien trop courtes.