S'il n'est nul besoin de présenter Georges Clémenceau, le Père la Victoire, et pas davantage Claude Monet, le maître de l'impressionnisme, l'amitié indéfectible qui liait les deux hommes pendant un demi-siècle est peut-être moins connue du public.
La pièce de Philippe Madral en est le sujet, Claude Brasseur sera Clémenceau, Michel Aumont, Monet.
Au lendemain de l'armistice, Monet écrivait à Clémenceau:
"Cher et grand ami,
Je suis à la veille de terminer deux panneaux décoratifs que je veux signer le jour de la victoire, et viens vous demander de les offrir à l'Etat par votre intermédiaire ..."
L'action se situe durant les six années qui suivront jusqu'à la mort de Monet en 1924. Octogénaires tous deux, Clemenceau soutiendra avec une énergie intacte, une infinie tendresse, une rudesse toute d'affection, son ami accablé par une double cataracte qui le fait douter, jusqu'à renoncer, au don offert à la France, dont Clemenceau veille personnellement à l'installation voulue par le peintre.
Ainsi nous assisterons aux rencontres imaginées par Philippe Madral entre les deux hommes. Dans l'ensemble assez fidèle à la réalité historique, l'auteur ne peut s'empêcher de céder à certains poncifs aussi faciles que convenus ( le dialogue de Clotilde, la brave servante de Clemenceau, discutant peinture avec Monet, sa totale ignorance en la matière provocant les rires de la salle... et pis encore, la dispute entre les deux amis qui se termine par un duel avec leur canne de vieillesse ).
Mais après un " Tartuffe " désastreux au Théâtre de Paris, nous retrouvons Claude Brasseur , voix rocailleuse, éraillée, mais enfin parfaitement distincte. En ce soir de première il a déjà su conférer à son personnage toute l' épaisseur, son caractère intraitable, ses quelques faiblesses, et une véritable dimension digne du grand homme, infiniment cultivé, définitivement anticlérical, animé d'un rare sens de l'Etat, et parfaitement désintéressé... partageant avec Monet son gout des fleurs et du jardin, sa gourmandise aussi.
Michel Aumont, en dépit de sa grande barbe fleurie, semblait encore fort éloigné d'avoir trouvé ses marques. Comme absent de son texte tout juste appris, extérieur à son personnage et inconsistant alors que Monet,taraudé par le doute, torturé par sa double cataracte qui déforme sa perception de la couleur et de la lumière, désespère de son travail.
Marie-Christine Danède tient très honnêtement son rôle de servante, et Sophie Broustal, avec une certaine grâce, celui de l'amie de Clemenceau.
Catherine Bluwal s'est directement inspirée des Nymphéas pour son décor de voile parsemé de touches bleutées et transparentes, découpant la scène.
Christophe Lidon nous réserve une mise en scène juste et sans surprise.
Sans surprise caractérise aussi ce spectacle: il a le mérite de nous faire rencontrer deux personnages d'une envergure hors du commun.
Ils méritait un texte moins anémié.
P.S. Si vous désirez approfondir le sujet je ne saurais trop vous recommander :
" Georges Clémenceau à son ami Claude Monet . Correspondance " éditée par la Réunion des Musées Nationaux en 1993.