Subtile alchimie.
Voilà le seul regret de Lulu pour cette nouvelle pièce de l’excellent auteur Martin Crimp.
Après «Probablement les Bahamas», avec Catherine Salviat, parfaite, (chronique de novembre 2017), «La Campagne» vient confirmer la singularité et le talent du dramaturge britannique.
Passé maître d’un fantastique «bourgeois», son intrigue nous plonge dans les affres et la confusion d’un ménage à trois, suite de mystères non élucidés conduisant aussi le public à de nombreuses interrogations sans réponses.
Vertigineux jeux de miroir.
A la banalité de propos du soir échangés par un couple de bourgeois aisés récemment installés à la campagne afin de retrouver la quiétude,
succède, abrupte, l’inattendue question de la femme:
« Pourquoi l’as-tu amenée ici? pourquoi diable l’as-tu amenée ici?».
Suivie de cet elliptique échange:
«C’est mon métier de l’amener ici.» affirme Richard, le mari médecin.
provocant cette réponse de Corinne, s’insurgeant:
«Ton métier! C’est ton métier d’amener une inconnue dans notre maison au milieu de la nuit».
Ses questions, toujours plus pressantes, laissent deviner de lourds et lointains secrets chez ce couple usé.
Instillé le venin du soupçon, on découvre plus tard dans la nuit l’intruse, Aglaé, une jeune fille étrange, prenant plaisir à défier Corinne avant d’entamer un récit fantasmagorique: la justification de son état inconscient au bord de la route provoqué par une pierre brune dévoreuse.
Formidable dosage de l’étrange et du réel, de jeux de séduction et de sourdes menaces, formidables métaphores des sentiments, allusions aux secrets de l’être et de répliques convenues sur le quotidien familial.
Formidable illustration de la modernité des dialogues, de leur profondeur d’analyse,
Cette version de «La Campagne» atteint à l’idéal.
Les pertes de repaires se succèdent.
Jusqu’au vertige final, que je ne dévoilerai pas.
Fin connaisseur de l’œuvre, Sylvain Maurice signe une mise en scène d’une rare intelligence, d’une grande finesse, pleinement au service de l’auteur. Dans son décor, une longue table de bois clair, une chaise à haut dossier, tapissée de fleurs très colorées, il fait admirablement évoluer l’atmosphère faussement joyeuse du début en climat oppressant par le seul jeu des lumières subtiles de Rodolphe Martin.
Résignée ou revendicatrice, indifférente et aimante, lumineuse ou blessée, insouciante ou terrorisée, Isabelle Carré évolue magistralement dans son rôle de Corinne. D’infinies modulations font vibrer son jeu, elle subjugue, surprend, fascine.
A ses côtés, Yannick Choira, Richard, ne manque pas de présence, et Manon Clavel, l’intruse Rebecca, déploie juste ce qu’il faut de dérangeant.
Haletante Soirée pour Lulu.
Aussi intense pour le public,
Elle fera date dans le panthéon théâtral.