Les personnages ne vivent pas.
Pauvre Ivanov,
Pauvre Micha.
Dans la représentation de Luc Bondy, si Ivanov ne comprend pas ce qui lui arrive, nous comprenons très vite l’ennui qui nous accable.
Comme il le fait avec les textes, Luc Bondy dénature ses comédiens.
Suscitant mon admiration depuis longtemps, Micha Lescot, silhouette longiligne s’éployant, démarche serpentine, diction faussement uniforme, dans « Jusqu’à ce que la mort nous sépare » de Rémi de Vos, « Un garçon impossible » avec Isabelle Carré, « Lucide » de Raphaël Spregelburd, ou « Le retour » de Pinter, confère à ses personnages une étrange singularité.
A contre-emploi, comme perdu en Ivanov, il apparait aussi extérieur à son personnage qu’Ivanov est absent au monde.
Difficile aussi de reconnaître le talent des excellentes Christiane Cohendi et Chantal Neuwirth à la personnalité pourtant bien marquée.
Marina Hands, l’épouse qui a tout sacrifié pour Ivanov, consumée d’amour pour son mari et que la tuberculose consume, devrait nous bouleverser. Avec une gestuelle et des déplacements que rien ne justifie elle ne suscite juste notre pitié.
Seul épargné, Marcel Bozonnet, en Lebedev, nous donne à voir cet homme lamentable, mari terrifié par son épouvantable épouse avaricieuse, père aimant et seul véritable ami d’Ivanov.
Dès le début de la pièce, à la place de la terrasse où il devrait se tenir assis un livre à la main, nous attend Ivanov, dos au public, avachi sur son tabouret comme un mauvais élève mis au coin, face à l’immense façade de fer conçue par le décorateur Richard Peduzzi, emphatique symbole de la barrière infranchissable séparant irrémédiablement Ivanov du reste du monde.
Comme pour les classiques, Luc Bondy ne sert pas les auteurs.
Dans ses mises en scènes il impose aux textes des ruptures de rythme à contretemps, à ses interprètes des respirations et des déplacements, des intonations d’une artificieuse sophistication.
Plus rien de russe dans cet Ivanov.
Mais bien toute la lourdeur suisse.