Inconditionnelle de ses précédentes mises en scène d’« Oncle Vania », des « Trois Sœurs », de « La Cerisaie » et de « La Mouette »,
Après avoir découvert « Ivanov » il y a dix ans à Vincennes dans la mise en scène de Philippe Adrien, Et récemment celle, détestable, de Luc Bondy avec Micha Lescot à l’Odéon,
S’annonçait cette troisième et prometteuse version.
Maintes fois remaniée, première pièce d’un auteur de vingt-sept ans, « Ivanov » renferme déjà toutes les composantes du théâtre de Tchékhov.
Ivanov est un noble ruiné, couvert de dettes, dépressif, détaché de son épouse, Anna Petrovna, phtisique, mourante,
Elle toujours aussi éprise, reniée par ses parents à cause de son mariage, découvrira l’irrépressible attirance entre son époux et Sacha, la fille de leurs débiteurs.
Entourés par un monde dominé par la petitesse, la médisance, les illusions, la veulerie d’une société provinciale lâche, étriquée, antisémite,
Terrassé par un sentiment de culpabilité, un an après la mort de sa femme,
Vaincu à son tour, Ivanov mourra le jour de son mariage avec Sacha.
Considérée comme une comédie par son auteur, Ivanov demeure tragique par son sujet :
Les souffrances, le mal-être, de son principal personnage,
« Mon âme est figée dans une sorte de paresse » dit-il.
« Vous avez les nerfs à vifs, vous broyez du noir, il vous manque cet élan vital » lui reproche son intendant dès la première scène ;
Et ne brillant pas par leurs qualités,
Incarnations de la petitesse, de la cupidité, et de la cruauté : la mère de Sacha,
D’impuissance et de veulerie : le père de Sacha, homme sympathique et faible dominé par son épouse sans cœur, le vieux Comte pique-assiette, l’intendant et ses chimériques affaires miraculeuses,
Leur font face des êtres purs sacrifiés : Anna Patrovna,la femme d’Ivanov, d’origine juive, déshéritée par ses parents, délaissée puis rejetée par son mari à la veille de mourir, Sacha qui se bat contre tous persuadée des qualités d’Ivanov et de sa capacité à lui redonner gout à la vie, enfin Lvov, le docteur secrètement amoureux de la mourante qui n’aura de cesse de dénoncer jusqu’au dénouement l’insensibilité d’Ivanov pour sa malheureuse épouse.
Ainsi se composent ce pathétique entourage, peinture « objective »de la Russie de Tchékhov
Jusqu’à présent, et comme aucun autre français,
Bannissant tout maniérisme, et pseudo- lyrisme slave, dans une totale économie des décors, et par des interprétations « pressantes »,
Christian Benedetti avait réussi à imprimer aux textes de Tchékhov, fait exceptionnel au théâtre,
Une intensité à vous nouer la gorge d’émotion, vous faire jaillir les larmes des yeux.
Louvoyant entre farce, grotesque et caricature,
Dans une scénographie lourde et sans imagination, déplacée à vue par les comédiens,
Avec une distribution plus qu’inégale,
Lui, si bouleversant dans Les Trois Sœurs ou Oncle Vania, ne manifeste que balourdise en Borkine, l’intendant,
Brigitte Barilley caricaturale jusqu’à l’invraisemblance en Zinaïda Savvichnina, la mère usurière de Sacha, Lise Quet et Martine Vandeville, la riche bourgeoise rêvant d’un titre, et la joueuse-marieuse impénitente ne brillant pas davantage dans leur maladroite outrance,
Déséquilibrent définitivement l’intrigue,
Sans parvenir à trouver la juste mesure entre les antagonismes présents,
Mis à mal encore par une élocution accélérée parfois jusqu’à l’incompréhension.
Il faut cependant reconnaitre une très belle présence à d’autres interprètes.
Vincent Ozanon, physique transparent, trentaine usée, par ses éclats injustes ou impuissants, son apathie face aux épreuves, compose le plus convaincant des Ivanov. Pitoyable et méprisable, attachant et révoltant, assurément dépressif et lucide.
Cette malheureuse Anna, Laure Wolf, nous émeut dans son amour aveugle pour Ivanov, sa tolérance jusqu’au choc de la découverte de son infidélité.
Tout comme l’on est entrainé dans la foi inébranlable de la Sacha d’Alix Riemer : vaillante, entière, généreuse, décidée jusqu’au bout à sauver Ivanov malgré lui.
Rôle difficile d’homme intègre dégouté par le monde qui l’entoure et amoureux secrètement d’Anna,
Le docteur Lvov de Yuryi Zavalnyouk nous ébranle dans sa persistante révolte dénonciatrice fatale à Ivanov.
Mise en scène bancale,
Tchékhov boiteux,
Christian Benedetti pour une fois trahi.