Dans une sage robe-tablier noire de « ménagère »,
Perché sur ses stilettos vernis ,
Entouré d’une collection de vieux gramophones,
Au milieu de meubles d’intérieur bourgeois kitschissime fin XIXe au bois chantourné, surchargés de motifs décoratifs,
Thierry Lopez campe, brillamment, un bien étrange personnage :
Charlotte von Mahlsdorf, de son vrai nom Lothar Berfelde, né à Berlin en 1928 ;
Habillé en femme de puis l’âge de quinze ans, ce personnage incroyable est parvenu à survivre au nazisme puis aux communistes occupant Berlin-Est.
L’auteur Doug Wright et son ami ont cherché à percer le mystère de cet être singulier.
La pièce le fait revivre à travers leur « enquête ».
Seul en scène le comédien nous entraine dans le rocambolesque récit de la vie de cette surprenante « créature ».
A quatorze ans, pour fuir les violences d’un père nazi, il se réfugie à la campagne chez une tante, éleveur de chevaux, toujours habillée en homme.
Il y découvre des habits de femme, il ne les quittera plus jamais.
De retour à Berlin, à nouveau confronté aux violences de son père,
Il le tuera à coup de rouleau à pâtisserie, se retrouvera emprisonné, Et libéré des geôles par les bombardements alliés sur la ville.
A partir de là, assumant son travestissement, il consacrera son existence à « sauver » des meubles qu’il collectionnera dans un vieux manoir abandonné et restauré par lui seul.
Existence trouble, traversée d’épisodes tragiques :
L’emprisonnement terrible de son ami coupable de commerce d’antiquités avec les américains ;
De compromission avec la Stasi, suspecté de dénonciations et de récupération du mobilier des personnes arrêtées ;
De reconnaissance et de rejet : attribution d’une décoration qui plus tard provoquera un scandale à l’ouverture des dossiers de la police secrète ;
D’audace : outre le travestissement, le sauvetage et la conservation dans ses sous-sols de tout le mobilier d’une brasserie pour travestis existant depuis Guillaume II que vont raser les communistes :
« Nulle part où se rencontrer, nous n’étions pas sensés exister ».
« Le Musée, les meubles, les hommes, c’est l’ordre de ma vie, je n’ai pas choisi »,
Constituent la définition de Charlotte qui ajoute :
« Je suis ma propre épouse »
Une attaque de néo-nazis lors d’une fête organisée au musée la poussera à l’exil en Suède.
Elle reviendra à Berlin en 2002 pour y mourir d’une crise cardiaque dans son musée.
Théâtralité assumée jusqu’au dénouement fatal.
Singularité jamais démentie,
La découverte d’une vie tumultueuse d’un « être stupéfiant » comme le décrit la note de présentation,
Téméraire leçon de « survie », de liberté et de « fidélité ».
Sous les superbes éclairages d’un maitre incontesté de la lumière, Jacques Rouveyrollis,
Avec l’utilisation de ces délicieux meubles miniatures (sans doute des meubles de poupées) sortis tour à tour de la partie haute d’un buffet à deux corps : décor de Natacha Markoff,
Steve Suissa signe une mise en scène qui jamais ne verse dans la caricature,
Sobre à l’image de sa robe qui révèle des dessous plus coquins,
Thierry Lopez, seul en scène, réalise une véritable performance.
Incarnant chacun des nombreux protagonistes,
C’est à Charlotte qu’il parvient à donner toute l’amplitude et l’ambiguïté du personnage.
Intéressant pour le moins,
Attachant parfois,
Déroutant toujours.
Créé en Avignon,
Un spectacle dont le succès se justifie pleinement.