A Londres la pièce a été créée avec John Gilgud et Ralph Richarson.
Adaptée par Marguerite Duras, Claude Régy l’a montée à Paris avec Michael Lonsdale et Gérard Depardieu en 1972.
Je n’y étais pas mais j’imagine.
Gérard Desarthe , pour cette reprise, a demandé une nouvelle adaptation à Hazel Carr qui restitue parfaitement l’esprit britannique de la pièce.
Dans la grisaille d’un lieu indéfinissable, autour d’une table et deux chaises minables, se rencontrent deux hommes « ordinaires ». Harry et Jack. Ils lient conversation avant d’entamer une promenade.
Propos anodins, considérations météorologiques, souvenirs de guerre, familiaux ou professionnels émaillent le dialogue entre ces personnages qui s’efforcent visiblement de meubler le temps en attendant l’heure du thé ou du déjeuner.
Posés, calmes, modestes, mais parfois déroutantes, ces échanges sont marquées par un humour parfaitement britannique.
A leur suite entrent deux femmes, Katleen et Margerie.
Contrastant brutalement avec le ton mesuré de ces messieurs, elles racontent avec crudité et verdeur leurs rages, leur révolte, leur dépression.
Malgré ses tentatives de suicides répétées, Katleen manifeste un appétit sexuel débordant.
Tout son contraire, en proie à de terribles crises de larmes, Margerie veille à rester une fille honnête et encourage sa copine à l’imiter.
Leur rencontre avec les hommes révèlera avec un sens du comique non dénué de dérision les fractures de chacun.
Voilà le lieu identifié.
Ni promenade, ni bord de mer :
Nous sommes à l’intérieur d’un asile psychiatrique.
Gérard Desarthe est prodigieux de flegme britannique souligné par un subtil et éblouissant travail corporel.
Cheveux rares teints en blond roux, fine moustache et grosses lunettes, veste de tweed effondrée, arborant un badge à la boutonnière, chaussettes potiron dans ses sandales à brides, ses inclinaisons de têtes, ses gestes vagues de la main, ses bras battant la jambe du pantalon, ses postures d’invertébré viennent souligner avec beaucoup de finesse ses acquiescements courtois et distants.
Plus étrange, malingre, filiforme, nez pointu et cheveux longs sous un minuscule chapeau ridicule, cravate extra large aux dessins voyants, perdu dans ses vêtements trop larges, Pierre Palmade est Jack, intarissable sur les mésaventures extraordinaires survenues à son innombrable parentèle, vraisemblablement fictive.
Révélation de la soirée, mèches en bataille, chevelure rousse flamboyante, lèvres carminées au- delà du raisonnable, mâchonnant son chewing-gum, collants pastel déchirés et chaussettes de couleurs différentes, Valérie Karsenti est une Margerie formidable de présence et d’énergie entre ses crises de larmes.
Quant à Carole Bouquet, Katleen, verbe haut, propos vulgaires, ruminant avec ostentation, bouche ouverte, son chewing-gum, elle prend un plaisir évident et courageux à se montrer coiffée de la pire des choucroute blonde péroxydée, vêtue d’une affreuse robe imprimée rose, assise jambes écartées, tirant parfois, sur les admonestations de sa copine, sa jupe outrageusement relevée. Et ce ne seront pas ses chaussures trop petites, sujet principal de ses récriminations, qui l’empêcheront d’entrainer Harry consentant et ravi, derrière un talus pour la bagatelle.
Audacieuse, à l’opposé de son rôle dans « Dispersion » la comédienne semble s’amuser de ce retournement total. Le plaisir est partagé.
Tableau sans indulgence de l’Angleterre des années soixante, Gérard Desarthe restitue avec finesse l’humour ce théâtre proche de l’absurde.
Folie des internés toute relative.
Malades plus opprimés que soignés.
Réunissant texte de qualité, mise en scène très réussie et interprètes convaincants,
On aurait aimé que l’alchimie opère complètement.
Quelques représentations supplémentaires devraient y remédier.