C'est aller vite en besogne.
Daniel Mesguich n'en n'est pas à sa première version. Dans sa note d'intention il déclare régulièrement ressentir la nécessité de se mesurer à l'oeuvre, dans ce qu'il nomme magnifiquement" non pas un duel meurtrier, mais un duel d'amour".
Sensation palpable tout au long de la représentation.
Si on peut regretter des costumes contestables de Dominique Louis, en dehors de ceux d'Hamlet et de Claudius qui mélangent habilement les modes de plusieurs siècles, si l'emploi de la musique parait souvent envahissant, à ces détails près, l'ensemble de la représentation a l'immense qualité de nous faire entendre le texte, tout le texte.
Rendu dans une langue à la fois poétique et moderne, il en fait miroiter toutes les facettes, des plus crues aux plus lyriques, des plus viles aux plus chevaleresques, des plus violentes aux plus amoureuses, des plus veules aux plus métaphysiques.
Fabuleuse musicalité qui vous emporte et vous transporte.
Vertigineuse variation sur la folie, l' amour, le crime.
William Mesguich, dont j'avais déjà mesuré le talent dernièrement dans " Descartes-Pascal" est un Hamlet qui m'a conquise.
D'une rare présence scénique, sa jeunesse et son physique correspondent au héros.
Tourments visionnaires, amours impossibles, affres de la torture mentale le traversent intensément.
Exaltation, abattement, épanchement, révèlent un engagement aussi total que maîtrisé.
Qu'il désespère, défie, menace ou s'épanche, le personnage est là, prenant, troublant, dérangeant.
Anne de Broca, Gertrud, est particulièrement bouleversante dans son récit de la mort D'ophélia.
La première Ophélia, Sarah Gabrielle ?, est délicieuse. Laurent Montel en Polonius, incarne parfaitement les ridicules du courtisan et l'autorité du père abusif. Philippe Maymat est un Claudius abject mais digne, les jeunes Eric Bergeonneau, Horatio, et Yan Richard, Laertes, sont tous deux mieux que justes. Citons enfin le merveilleux fossoyeur de Florent Ferrier.
Pour employer un truisme, la mise en scène de Daniel Mesguich est parfaitement " théâtrale" avec les spectaculaires éclairages de Mathieu Courtaillier.
Beaux effets d'" encadrement" des scènes, réellement découpées par de grands cadres or.
Belle économie dans le décor, chacune des scènes seulement symbolisée par les éléments indispensables.
Longue table et chaises transparentes pour le banquet, lit d'enfant et simples bandes d'étoffe rose pour la chambre d'Ophélia, crânes disséminés sur le sol au cimetière, et magnifiques masques d'insectes géants lors de la représentation théâtrale.
Intéressante idée pour la tirade de la faire dire par un comédien de la troupe une première fois. Commencée en français, puis reprise en anglais, on souhaiterait l'écouter ainsi dans son entier . Après seulement, nous l'entendrons de la bouche d'Hamlet.
Moins évident à mes yeux, cependant, le recours aux doubles d'Hamlet et d'Ophélia, dans les scènes de la fin.Je regrette de ne pouvoir vous en fournir la clé.
Une authentique esprit " saltimbanque" baigne cette salle de l'Epée de Bois à la charpente dénudée.
Le spectacle de Daniel Mesguich y trouve tout naturellement l'atmosphère propice.
Son Hamlet s'y fait pleinement entendre.
Un Shakespeare servi par son metteur en scène.