Nouvel affrontement, nouveaux enjeux.
Nous survolions les cimes de la métaphysique dans le premier.
Nous plongeons dans les abysses de la haine dans le second.
Le registre est totalement différent.
L'intensité identique.
Bureau de notaire cossu, canapé et fauteuils capitonnés de velours cramoisi ( plutôt salon de cocotte qu'office notarial, mais peu importe, la couleur choisie par la décoratrice Catherine Bluwal correspond à l" ambiance").
Dans ce huis clos, après dix sept ans de séparation, se retrouvent pour la succession de leur père, deux frères apparemment irréconciliables.
Leur haine remonte à l'enfance.
Elle se dévoilera au cours de cette ouverture de succession.
Face à d'anciennes photos, ou en l'absence du premier clerc, ressurgiront les fantômes du passé, la figure du père haï, la peur qu'il inspirait à ses fils, jamais assez brillants à ses yeux .
L'aîné se coulera dans le moule de la respectabilité et de la réussite sociale.
Le cadet fuira le foyer familial à dix sept ans pour s'engager en Algérie avant de sombrer dans la délinquance et d'assassiner l'amant de sa femme.
L' honorabilité semble caractériser le premier.
Ternissant la réputation familiale, le second s'est toujours couvert d'opprobre.
Les reproches échangés, les griefs accumulés, les haines recuites jetées à la face de chacun révéleront de bouleversantes fêlures lors ces déchirements impitoyables.
La pièce de Dominique Warluzel est remarquablement construite. Assurée par quelques stratagèmes, la progression dramatique n'en est pas moins efficace, les retournements toujours surprenants, les révélations jamais convenues.Répliques assassines, flèches acérées, ou aveux déchirants, ce texte vous tient d'un bout à l'autre de la représentation.
Pour jouer ces deux personnages de tragédie, Pierre Santini et Jean-Pierre Kalfon.
Impossible de rêver meilleure distribution.
Pierre Santini, en ténor du barreau, embonpoint de notable, rosette à la boutonnière, fait ici un rôle de composition magnifique. Maître de lui, se dominant toujours, il interroge ce frère déchu avec la tranquille suffisance des nantis face aux " ratés".
Tel un oiseau blessé, silhouette voûtée, tête légèrement penchée, voix feutrée et regard de biais, Jean-Pierre Kalfon est cet être à la dérive, englouti par la spirale de la déchéance, résistance pourtant intacte face aux attaques de son frère.
L' aveu par l' "élu" de turpitudes secrètes non moins condamnables que les délits officiels du " déchu" conduiront à un dénouement aussi déchirant que bouleversant, aussi inattendu que terrible.
Duel sans merci, sans répit ni rédemption, défi final accablant. Universel drame de famille.
Emotions, suspense, rires.Que demander de plus à une soirée de théâtre ?
" Fratricide", une prescription impérative de Lulu