Ses sésames une fois obtenus de haute lutte,
Le souvenir du film de Bergman encore prégnant,
Lulu savourait d’avance un bonheur annoncé :
La promesse de revivre les émotions bouleversantes suscitées par cette œuvre testamentaire.
Reléguant au second plan l’histoire de Fanny et Alexandre,
Gommant délibérément la place centrale occupée par les enfants ici étrangement incarnés par deux jeunes adultes,
Recentrée par Julie Deliquet,
L’intrigue se concentre autour de la famille Ekdhal.
Une « dynastie » de comédiens propriétaire d’un théâtre dirigé par l’un des leurs.
Basée sur un jeu de miroir,
Le stratagème s’instaure dès le lever de rideau.
Il se développera tout au long de la représentation.
Plongeant tour à tour le spectateur entre vie « réelle » et vie « jouée ».
S’appuyant sur une troupe à la réputation d’«excellence »,
L’effet de théâtre dans le théâtre,
De basculement de la réalité à l’illusion,
Permet de s’illustrer à chacun des membres de cette grande « Institution ».
Virtuoses démonstrations,
Déploiements d’un professionnalisme impeccable,
Solidité du métier d’acteur,
Sont ici exploités, jusqu’à saturation, sous toutes ses facettes :
Dès le lever de rideau, Denis Podalydès, en Oscar Ekdhal, sème le trouble ;
Directeur du théâtre il s’adresse au public entouré de sa troupe en costume, en ce soir de Noël, face Sur le devant le rideau de scène baissé.
Voilà mis en place le subterfuge,
Il opérera jusqu’au bout, donnant lieu, entre autres, à une longue scène de répétition d’Hamlet dans laquelle on suit tout le travail d’interprétation d’un comédien.
Tâtonnements, hésitations, repentirs, changements de rythme, d’intonations, permettent à Denis Podalydès, empêtré dans son costume, épuisé par son travail,
De se livrer à un véritable numéro de cabotinage pour le plus grand plaisir d’un public ébloui et subjugué.
En évêque pervers et sadique Thierry Hancisse est terrifiant, comme Hervé Pierre se délecte de son rôle du vieux restaurateur du théâtre, bon vivant vieillissant, mais à l’appétit sexuel toujours dévorant.
Le rôle de l’antiquaire sied parfaitement à Gilles David, celui d’Helena Ekdhal, veuve et ancienne comédienne, offre à Dominique Blanc l’occasion de nous réciter encore un passage de « La Maison de Poupée » qu’elle a subliment interprêté jadis à l’Odéon, aussi un extrait de Phèdre.
La liste ne s’arrête pas là, mais Lulu oui.
Engourdissement cérébral provisoire ?
Cécité passagère ?
Sensibilité momentanément anesthésiée ?
Toutes les hypothèses sont permises.
Quitte à faire bondir d’indignation les thuriféraires de ce spectacle,
Seule certitude établie :
Une indifférence souveraine ressentie tout au long de la soirée.
Un triomphe de « l’Illusion » qui n’illusionne plus.
Réduisant à l’artifice une histoire cependant si belle.
Trop d’effets tuent l’effet,
Anéantit les émotions.
Détruit l’essence même du « Théâtre » ainsi « théâtral ».
Sur l’art de la mise en abîme je rappelle à mes lecteurs l’excellent « Faiseur de Théâtre » de Thomas Bernhard avec André Marcon remarquable, au Théâtre Dejazet à l’affiche jusqu’au 9 mars :Lulu de Janvier 2019.
L’épidémie des adaptations de films sur scène continue à sévir dans les murs
D’une maison où il serait bon de se rappeler l’existence des grands textes à servir :
Son rôle et sa justification première.