Trois soirées dont on attendait beaucoup.
Trois représentations à vous décourager de prendre la plume.
Pestant contre de mauvais choix, chagrine d’avoir perdu son temps,
Mais le sens du devoir l’emportant sur les humeurs,
Dans l’ordre chronologique,
Quelques motifs pour justifier ces fâcheuses assertions.
Evita.
Insuffisant travestissement.
Pour évoquer la légendaire « Madone des Pauvres » qui n’apparaissait en public, aux Côtés de Peron, son dictateur de mari, que ruisselante de diamants, habillée par Dior, et enveloppée de précieuses fourrures, il faut une imagination à la « démesure » du personnage.
L’actrice ratée, rongée d’ambition, vouant une haine sans merci à la « bonne société » argentine qui la méprisait, jouant un rôle politique de premier plan avant de mourir à trente ans à peine rongée par un cancer, continue de fasciner.
Elle a déjà été l’objet d’un spectacle merveilleux, déjanté et poétique dont Alfredo Arias avait le secret.
Rien de tel ici.
Stéphan Druet a écrit sa pièce pour le comédien Sebastian Galeota, seul en scène.
Malgré la perruque d’un blond vénitien coiffée en lourd chignon impeccable, de longs gants blanc et la spectaculaire robe du soir immaculée, imaginée par Frank Sorbier, à l’immense jupe ample ornée de tulle savamment drapés jusqu’à l’épaule, qui sert d’écran parfois,
Le texte, bien informé, demeurant platement narratif,
L’interprétation sans relief, aussi cantonnée dans un unique registre,
Ne parviennent pas à faire revivre les épisodes cependant insensés de ce personnage honnis ou adulé.
Le spectacle ne dépassera jamais le niveau d’un interminable numéro de travesti chez un « Michou » à prétentions historicisantes.
A tout prendre il vaut mieux ne pas se tromper d’adresse.
Rendez-vous Gare de l’Est.
Cuisante déception.
Il a été parmi les plus jeunes metteurs en scène récipiendaire d’un « Lulu d’Or » pour « La Nuit Tombe » (Lulu de janvier 2013).
Dans un entretien il déclare avoir travaillé quatre années pour parvenir à ce monologue à partir de ses rencontres avec cette amie dépressive qui s’enfonce dans la maladie.
Jamais nous n’aurions imaginé être à ce point déçus par Guillaume Vincent.
Une fois encore, nous restons au niveau d’un récit linéaire :
Longue et plate énumération,
Interminable litanie.
Les hallucinantes listes de médicaments, l’évocation de séjours répétés en milieu hospitalier, les problèmes professionnels, conjugaux et familiaux de cette malheureuse qui s’enfonce toujours plus bas et dérive toujours plus loin, débités par Emilie Incerti Formentini, joli minois, silhouette rebondie, longue chevelure acajou, assise sur sa chaise, face au public, presque immobile,
Atteignent un degré d’ennui insurpassable.
Une heure de spectacle qui parait en durer trois,
Une émotion à jamais absente,
Une actrice en qui on perçoit de réelles possibilités,
Réduite à l’état de potiche,
Une noyée à laquelle on ne songe même pas à lancer une bouée,
Un naufrage qui vous ferait sauter par-dessus bord.
Un nouvel espoir de la mise en scène qui s’éteint.
Voilà le plus triste.
Le Bœuf Sur Le Toit, les années Cocteau.
Promesses non tenues.
Haut lieu des années folles, dirigé par Cocteau de 1922 à 1923, « Le Bœuf Sur Le Toit » réunissait, à l’initiative du poète, un mélange improbable et foisonnant de créateurs les plus divers de l’époque : mêlant jazz, grande musique et variétés avec un singulier talent, illustration d’une insatiable curiosité, cette évocation semblait prometteuse de riches moments.
Cruelle, je le serai, à mon corps défendant.
Ici point de monologue. De nombreux numéros viennent illustrer les propos du présentateur.
Que dire de l’initiateur et présentateur de la soirée ?
Un bonimenteur fatigué et cabotin, un vieux prof qui ne connait que trop bien un cours rabâché, un incorrigible bavard, dont les rares retours de flamme illustrent de loin en loin l’esprit affuté encore admiré sur les ondes d’une radio privée.
Une mise en scène indigente, des « déguisements » miteux, à l’économie, des artistes, à l’exception des pianistes, Jean-Baptiste Doulcet et Jean-Christophe Rigaud, dans l’ensemble médiocres ou mal distribués.
Seule élégante, Caroline Casadesus chante les refrains délicieux de Poulenc ou Satie comme pour les Chorégies d’Orange : opératique, son emphase, sa soudaine puissance vocale dénaturent « La Dame de Picadilly », « je te veux » ( Eric Satie) et « Chemins d’Amour »( Francis Poulenc).
Sinistres, les gratouillis sur banjo, le bandeau à la plume tombante, l’accidentelle crête d’Iroquois émergeant d’un chignon mal arrimé de Laurence Lo Jay pour évoquer la séquence jazz et le « right Time de Stravinsky d’une voix d’une voix qui se voudrait profonde ;
Navrante dans la séquence variétés, les interprétations de Joséphine Baker, « Ma Tonkinoise » appuyée par force d’inutiles moulinets d’ombrelle, et d’ « En douce » de Mistinguett, sans l’ombre d’un frisson.
Passons sur les incursions volontairement inopinées du jeune Eugène Marcus, interrompant par des citations de Cocteau, les discours du présentateur. Très récemment, dans « Je l’appelais Monsieur Cocteau » de Carole Weisweiller, l’effet était autrement réussi.
En dépit de la reconstitution du « décor » beige et noir du Bœuf dans la petite salle du bas avec ses tables et chaises où l’on pouvait se faire servir à boire, les trois heures de la soirée s’étirent sans fin, laborieuse, ennuyeuse, sans sel ni fantaisie véritable.
Une incursion manquée dans un univers fascinant, pétillant, foisonnant.
En l’occurrence, préférer une bonne lecture à une mauvaise évocation s’avère plus convaincant.