Celle de l’Odéon, mise en scène par Roger Blin, avec Jean Paul Roussillon, Michel Aumont, Didi et Estragon, François Chaumette, Pozzo, Georges Riquier, Lucky,
Celle avec Marcel Maréchal et Pierre Arditti en Didi et Gogo, et Robert Hirsch en Pozzo.
A l’Aquarium, dirigés par un trio de metteurs en scène : Marcel Bozonnet ( qui joue aussi Pozzo), Jean-Lambert Wild (Lucky dans la pièce) et Lorenzo Malaguerra, les rôles des vagabond Vladimir et Estragon, ont été confiés à des ivoiriens, Michel Bohiri- Didi, Fargass Assandé-Gogo.
Tous deux sont étonnants.
Misérables va-nus pieds, clowns pathétiques, cherchant indéfiniment à tromper une attente qui les ronge, l’ennui qui les accable, la faim, le froid, les douleurs qui les tourmentent.
Didi, noyé dans son informe cache-poussière (à l’occasion garde-manger dont il extrait la carotte ou le radis réclamés par Vladimir) ridicule chapeau melon sur le chef, encourage, réconforte, distrait Vladimir, révélant un tempérament plus joyeux et optimiste que son camarade.
Vladimir, râleur, se plaint souvent. Quand ses chaussures trop petites ne le font pas souffrir, c’est la faim qui le tourmente, les coups qui s’abattent, l’envie de se pendre qui l’assaille et le désir fou de quitter ce Vaucluse maudit pour l’Ariège dont il rêve.
Ces comédiens d’une grande authenticité, à l’accent savoureux, aux intonations si particulières, à la présence formidable, nous donnent à voir une humanité déracinée, perdue, sans avenir, qui évoque immanquablement ces flots de malheureux, sans-papiers, S.D.F. émigrés, ces êtres « Au bord du monde » ( titre d’un film de Claus Drexel ).
C’est toute cette souffrance matérielle et affective comme le rejet des exclus que souhaitent nous montrer les concepteurs du spectacle.
« Rien n’est plus drôle que le malheur » affirmait Beckett qui imaginait ses personnages comme les comiques Laurel et Hardy ou les clowns Footit et Chocolat.
On rit souvent en effet, avec le duo ivoirien, truculent et roulant des yeux, se livrant à des jeux, comme les enfants, pour meubler le temps.
Marcel Bozonnet-Pozzo est un maître grandiloquent parfaitement odieux, Jean-Lambert Wild- Lucky, l’esclave martyrisé, donne un accent très expressionniste à sa tirade de « penseur ».
D’un pessimisme foncier mais non dénué d’un grand amour de l’homme, marqué par son expérience de la guerre, son engagement dans la résistance et sa fuite à Roussillon après dénonciation du réseau, Beckett sait aussi évoquer de façon admirable et avec grande pudeur les camps et ses monceaux de cadavres.
Si une feuille a reverdi sur l’arbre de ce terrain improbable, Godot resplendit par son absence.
Cette dimension métaphysique évidente, cette évocation du désir de chacun d’entre nous d’ attendre quelque chose de meilleur dans un domaine autre que le « matériel » , ce chemin proposé par un poète agnostique, est définitivement barré dans cette version de la pièce.
Humainement touchante,
Mais spirituellement amputée
Bancale en somme.