Le succès fut au rendez-vous.
Renouvelé aujourd’hui, soixante ans plus tard au Théâtre Hébertot.
Saluons au passage Francis Lombrail qui se révèle un directeur avisé au fil des années depuis sa reprise du théâtre dans un paysage parisien en pleine mutation et changements de programmation radicale récemment intervenus dans deux salles emblématiques du théâtre privé, l’Oeuvre et l’Atelier dans lesquelles de très grands auteurs, parfois encore inconnus, ont si souvent été à l’affiche.
Revenons à « Douze Hommes en Colère ».
Avec talent, le metteur en scène Charles Tordjman, instaure dès le lever de rideau une tension électrique.
Costume-cravate, bien vus par Cidalia Da Costa, tous alignés sous l’étroite ouverture d’une pièce fermée à l’atmosphère lourde de l’orage menaçant, les douze jurés sont invités par leur président à s’asseoir.
Chacun prend place sur un simple rebord dans l’excellent décor oppressant signé Vincent Tordjman.
Ils doivent se prononcer sur la sentence de mort pour un adolescent accusé d’avoir tué son père à coups de couteau.
Issu d’un milieu particulièrement défavorisé, gangréné par les violences, le mensonge, et la malhonnêteté,
Tout semble accabler le prévenu.
L’unanimité requise pour la sentence de mort semble acquise d’avance.
Désireux d’en finir au plus vite, pressés d’assister au début d’un match de football , ils passent aussitôt au vote.
Contrairement à toute attente, une voix leur manquera.
Mettant le feu à l’assemblée, déchainant les haines, dévoilant le mépris et les préjugés contre ce gamin de seize ans.
En conscience et seul contre tous, un unique juré, architecte, défiant l’ensemble des jurés, osera exprimer un doute.
Face à onze des jurés, les origines de l’accusé justifient sa culpabilité,
Et le déroulement du procès apporté les preuves.
Pour eux, la condamnation à la chaise électrique : la meilleure solution.
Dans une progression habile, parfaitement maitrisée par l’auteur et transcrite dans l’adaptation de Francis Lombrail,
En dépit d’altercations, d’invectives, de colères, d’affrontements, de tergiversations,
Le doute s’instillera, doucement progressera, démontera l’accusation,
Faisant inexorablement basculer la majorité, jusqu’au dernier irréductible confondu par sa haine envers son propre fils.
La distribution impeccable réunie sur le plateau nous permet de découvrir toute la justesse de chacune des personnalités.
L’architecte de Bruno Wolkowitch, calme détermination, ton mesuré, interroge, trouble, ébranle les esprits sans jamais forcer la note.
Moustache blanche, âge respectable, distingué dans son costume prince de Galles, Claude Guedj dégage la dignité et la sagesse du premier des jurés à apporter son soutien à l’architecte.
Avec sa rudesse, son agressivité affichée, ses rapports avec son fils, Francis Lombrail tient parfaitement son rôle du dernier des irréductibles.
Pascal Ternisien , un collaborateur d’une agence de publicité, est aussi convaincant dans ses vaines tentatives humoristiques que dans ses pathétiques tergiversations.
Pierre Alain Leleu campe un président de jurés falot mais soucieux du respect des règles,
Sans oublier : Jeoffrey Bourdenet, effacé longtemps, jeune ouvrier sans doute intimidé, sait se révéler quand il le faut,
Né dans milieu pauvre, mais ayant réussi, le personnage d’Antoine Courtray sera seul à « comprendre » la personnalité de l’accusé,
Philippe Crubezy l‘horloger, incarne l’exilé défenseur des droits de son pays d’accueil,
Christian Drillaud, drapé dans sa dignité et sa respectabilité, implacable dans sa haine jusqu’auboutiste,
Sans oublier ni Roch Leibovici, Claude Guedj, Adel Djemaï, aucun ne dépare cette distribution sans faille.
Monté sans défaut,
Fonctionnant telle une pièce policière,
Véritable compte à rebours vers le triomphe de la vérité,
Le « suspens » tient son public en haleine.
Inspiré par la propre expérience de l’auteur,
Humaniste et généreux,
En ces temps troublés,
On rêverait pareille justice.
Rien n’interdit l’idéalisme.