Il ne s'agit pas d'une coquille.
Jean-Pierre Vincent est surprenant. Capable du meilleur (Les comédiens de bonne foi de Marivaux en 2010) comme du pire (Ubu d'Alfred Jarry en 2009), il nous prend ici à revers: son Dom Juan est définitivement bancal.
Dans le couple mythique dont il nous parle c'est Sganarelle qui mène la danse de bout en bout.
Occupant la scène de façon éblouissante, Serge Bagdassarian (l'esprit Charron ressuscité) nous donne à voir un Dom Juan inversé.
Loïc Corbery, jeune certes, comme à la création, est à la fois inconsistant et superficiel.
Il métamorphose ce caractère puissant, révolutionnaire d'avant les Lumières, dressé contre l'ordre établi, en un vulgaire freluquet, enfant gâté et braillard dont les défis et transgressions ne sont que fanfaronnades et veulerie.
Sans même parler de Michel Piccoli dans la réalisation de Marcel Blüwal, Philippe Torreton il y a peu donnait une autre consistance au personnage.
Bancal aussi la distribution des autres rôles, avec là encore, le meilleur côtoyant le pire.
Rarement scène de paysans ne fut aussi parfaitement réussie: sans tomber le moins du monde dans la caricature, Jérémy Lopez (Pierrot) et Julie Sicard (Charlotte) nous permettent d'assister à un moment d'anthologie dans leurs échanges et dialogues. C'est merveilleusement truculent, savoureux à souhait, en un mot irrésistiblement drôle.
Mais soporifique la scène avec les Chevaliers, inefficace celle du festin et du retournement de Monsieur Dimanche, sans résonance l'interpellation du Père, et absolument grotesque l'apparition du Commandeur.
Quant aux décors de Jean-Paul Chambas ils se veulent si déterminant dans la dramaturgie qu'ils en deviennent encombrants.
J'en dirai autant de ce tonnerre dont les grondements répétés lassent bientôt.
Moins balloté au cours de cette représentation contrastée, avec une distribution mieux équilibrée, on aurait crié au chef d'oeuvre.
Il n'en demeure pas moins qu'après l'effroyable Tartuffe, cette version de Dom Juan demeure une mouture plus qu'honorable.
On peut vraiment aller voir " Sganarelle ou le Festin de pierre".
L'interprétation de Serge Bagdassarian restera dans les annales.