Au chapitre théâtre, sur France 5, seules propositions de qualité, mais au niveau de l’excellence, ne méritent d’être cités que:
«Un Fil à la patte» de Feydau, version d’anthologie de la Comédie Française de 2011, dans mise en scène par Jerôme Deschamps avec une distribution de rêve réunissant entre autre Dominique Constanza, Hervé Pierre, Guillaume Galliene et Christian Hecq.
Rendu avec fidélité et en costume d’époque, chaque réplique de l’auteur, roi du vaudeville et précurseur de l’absurde, crépite d’un l’humour ravageur, suscitant un rire salvateur célébré à la création dans un Lulu de janvier 2011.
Tout en nuances et délicatesse, emprunt de reflets «stréhlériens», « Le Petit maître corrigé », de Marivaux mis en scène par Clément Hervieu-Léger dans le décor d’Eric Ruff, avec Loïc Corbery , Edelyne d’Hermy, Christophe Montez, Dominique Blanc et Didier Sandre, fait délicieusement vibrer les tourments d’amours inavoués déjà si finement analysés dans cette pièce de jeunesse.
Le Lulu de janvier 2017 n’avait pas manqué de vous en faire part.
Cependant, c’est à l’Opéra de Paris que s’est concentrée l’attention de Lulu.
Ayant boudé la danse depuis le départ de sa directrice Brigitte Lefèvre et le passage éphémère de son successeur Benjamin Millepied, Lulu se doit de reconnaître dans ces diffusions quelques très heureuses surprises ou confirmation de talents déjà signalés dans ses chroniques précédentes.
Commençons par Germain Louvet dans le rôle du Prince du Lac des Cygnes. Sigfried d’une élégance suprême, et d’une incontestable présence dramatique, il parvient jusqu’à échapper au ridicule de la variation avec arbalète.
En Rothbart impressionnant de force inquiétante, François Alu se démarque brillamment des conventions.
La soirée d’hommage à Jerôme Robbins nous a permis de retrouver, entre autres, un Mathias Heymann au sommet de son art dans «ASuite of danses» sur les variations de Bach pour violoncelle magnifiquement interprétées par Sonia Wieder-Atherton.
Après une soirée décevante à Chaillot, la nouvelle création de Crystal Pite, «Body and Soul» ne figurait point sur l’agenda de Lulu.
Impardonnable omission .
Humble, repentante, la voilà contrainte de reconnaître, mêlant tardivement sa voix au concert de louanges de toutes parts entendus, la force émotionnelle de cette dernière chorégraphie de la canadienne.
Son héritage revendiqué de Jiri Kylian transparaît dans toute sa beauté déchirante au deuxième acte, en particulier avec des pas de deux d’une beauté époustouflante. Seule réserve, en dépit de la collaboration de Marina Hands, le pesant côté narratif du premier tableau. Quant aux créatures menaçantes du dernier tableau, d’étranges scarabées corsetés de vinyl, affublées d’ interminables pinces acérées, elles dégagent un véritable malaise en parfait accord avec l’actualité.
Sans doute, avec le «Winterriese» d’Angelin Preljocaj, trop brièvement programmé en début de saison au Théâtre des Champs Elysées, (Lulu de novembre 2019) le plus beau ballet de la saison.
Du bonheur à la fureur
Passé la célébration des joies,
Libre cours à l’ire.
Jamais au théâtre Lulu n’a manqué de critiquer les «relectures» injustifiées, les mises en scène trahissant l’auteur.
Pires encore, les mises en scène d’ opéras.
Véritables outrages aux distributions souvent excellentes,
le spectateur en viendrait à se priver de vue afin de pleinement goûter d’admirables voix: Pretty Yende et Benjamin Bernheim dans La Traviata, ou Nicole Car et Attala Ayan dans la Bohême.
Rien ne semble épargné aux plus grands chefs d’oeuvre de l’art lyrique.
Les aberrations devenues la règle, la laideur indispensable, la vulgarité incontournable, les transpositions à notre époque, dans ce qu’elles ont de plus ordinaire et déprimant, déterminant facteur de modernité obligée.
Saturée jusqu’à l’indigestion de ces décors absurdes, quelques exemples éloquents:
Sidérant, l’espace sidéral et sa cabine spatiale pour la Bohême de Puccini, mise en scène de Claus Guth,
Injustifiées, ces tristes ruelles aux immeubles étouffants d’une bourgade italienne pour le Don Juan d’Ivo van Hove, metteur en scène pourtant admiré sans réserves à ses débuts.
Maintes fois vue au théâtre la maison constituée de sa seule ossature du Don Pasquale mis en scène par Damiano Michieletto présenté comme « L’un des plus intéressant metteur en scène de la jeune génération italienne»,
Grotesque, La Traviata de Simon Stone avec son vacher et sa somptueuse vache au boucles impeccablement enroulées entre les cornes au deuxième acte,Violetta assise sur son trépied à traire, la chapelle brulant de mille cierges, après, au premier acte, avoir échangé ses aveux d’amour avec Rodolfo devant les toilettes d’un sous-sol glauque au milieu de caisses de bouteilles vides, sans parler des crépitements répétés des «courriels» envoyés entre les amants et du comptoir de Kebab où calmer un petit creux.
Dire que la «Médée» du même Simon Stone fut une révélation.
Quant à l’inoxydable Carmen signée en 99 par Calixto Beito, Lulu n’a pu tenir plus d’un acte face à ce déferlement d’outrances gratuites, de vulgarité voulue, et d’ajouts misérabilistes: les enfants tendent des gamelles à la troupe remontante; ou sadiques: le soldat en slip, brodequins, barda sur le dos, courant sans fin autour du régiment .
Véritable festival de conventions, uniformes de rigueur de chacune de ces productions, le costume cravate, l’imperméable « Burburry », la petite robe années soixante ou la combinaison à bretelles glissant de l’épaule, le survêtement à capuche ou la chemise col ouvert et pantalons noirs habillent avec une désespérantes banalité les personnages principaux et secondaires suivant leur origine sociale.
Notons encore l’audacieuse combinaison de cosmonaute de Rodolfo de la Bohême, le fourreau drapé lamé or particulièrement ordinaire et peu seyant pour Pretty Yende dans Traviata.
Outre les bovidés sur scène, la voiture, vieille guimbarde ou rutilant coupé, composent encore d’indispensables éléments de décor.
Mégalomanie galopante, délires sans limites, folles prétentions
n’aboutissent qu’ à une nouvelle forme de convention doublée d’un intolérable mépris affiché pour l’oeuvre, le compositeur, le librettiste réunis.
Ainsi l’éclat de rire vient ponctuer des passages les plus dramatiques,
L’incompréhension, certaines actions sans lien aucun avec l’intrigue.
Vils usurpateurs,
qu’attendent ces présomptueux malhonnêtes pour «créer»?
Ils épargneraient d’intolérables douleurs aux compositeurs,
d’insupportables souffrances au public redevable aux choix assumés par Monsieur Stéphane Lissner.