Détrompez-vous, car c'est au centre de la capitale qu'elle a aussi découvert un véritable bijou théâtral "Des Fleurs" pour Algernon".
Silhouette rondouillarde, face joviale, regard bleu translucide aussi limpide que son âme, Charlie, Gregory Gadebois, entre sur le plateau son minuscule cartable d'écolier serré sur son ventre rebondi.
La seule vue de ce personnage vous touche aussitôt.
De son élocution aussi hésitante, avec cette façon d'articuler, insistant sur certaines syllabes avec application, il débite le récit de l'expérience "scientifique" à laquelle il s'est prêté.
Désireux de bien faire, encouragé par son institutrice bienveillante, Miss Kinian, qui lui apprend à lire et à écrire, il accepte avec confiance l'opération proposée par les docteurs, également touché par l'intérêt qu'ils lui manifestent.
"Pourquoi quelqu'un aurait tort de devenir intelligent" constate-t-il avec une logique imparable quand il se mesure à Algernon, la souris blanche cobaye de la première intervention, qui le bat à tous les tests d'évaluation auxquels ils sont soumis.
Entrecoupés par des noirs, rythmés par les mouvements du fauteuil roulant qu'il déplace avec une maîtrise saisissante sur le plateau, accompagné d'une musique qui résonne brièvement tel un cri déchirant, on assiste tour à tour dans des scènes très brèves, à la transformation en génie de ce simple d'esprit, suivi de sa régression vertigineuse ,qui à l'image d'Algernon, le voit mourir enfin.
Anne Kessler a réalisé un découpage du texte d'une étonnante efficacité dramatique.
Sa mise en scène au cordeau, d'une précision toute "chirurgicale" fait admirablement alterner et se suivre les étapes de ce terrible parcours.
Charlie le simple d'esprit est le propre témoin de sa déchéance, se qualifiant lui-même "de poupée Barbie défectueuse" avec une lucidité confondante, et constate "je redeviens simple, pas bête, simple"
Rendu à sa solitude et à son isolement, il ne se console qu'au souvenir de la souris disparue avant lui et à celui de son institutrice impuissante face au drame de son protégé.
Charlie se défait, faiblit, se recroqueville, inexorablement sous nos yeux pour se fondre définitivement dans l'obscurité.
Grégory Gadebois, que je n'avais jamais vu à la Comédie Française dans des rôles marquants, révèle ici un talent aussi bouleversant que sensible et infiniment délicat.
Cloué sur son fauteuil, il se métamorphose sous nos yeux avec des nuances d'une incroyable subtilité tant avec son corps (mais oui) comme par sa voix.
On sort le coeur serré, profondément ému .
L'innocence sacrifiée a rarement retenti avec pareille sincérité et une telle authencité.