Tel est le consternant résultat de la mise en scène de Stéphane Braunschweig.
Remarquable dans « Lulu » de Widekind en 2010, « Je disparais » en 2011 et « Rien de moi » en 2014 d’Arne Lygre,
Le travail de l’ancien directeur de la Colline peut aussi se révéler plus que contestable : « Les Canards Sauvages » d’Ibsen en 2014 et « Les Géants de la Montagne » en 2015 en sont la triste illustration.
Pour cette première mise en scène au Français, Stéphane Braunschweig atteint à l’inacceptable.
Inacceptable, l’impossibilité d’entendre Racine :
Une diction imposée aux acteurs qui bannit volontairement toute la musicalité de cette langue sublime,
Une décomposition maniaque de chaque alexandrin qui rend quasi incompréhensible une partie du texte,
Des voix qui se perdent dans d’inaudibles murmures,
Des intonations le plus souvent monocordes qui excluent toute émotion.
Sans intérêt la transposition d’une prétentieuse scénographie :
Lieu froid et impersonnel, l’action se déroule dans une immense salle de conseil d’administration moderne, murs nus et noirs, table et fauteuils de bois clair, jeu de portes blanches, multiples, descendant ou disparaissant dans les cintres.
Tristement banals et ordinaires tous ces princes et puissants, devenus personnages du commun, engoncés, étriqués, mal à l’aise dans leurs uniformes contemporains convenus, costumes noirs, chemises blanches, imperméables.
Inévitable conséquence : affligeante interprétation dans son ensemble.
Laurent Stocker, Néron rondouillard, air poupin, blonde houppette relevée sur le front, voix sourde et monocorde, visage inexpressif, se contente de quelques œillades appuyées pour nous révéler un monstre en devenir.
Gourdichonne, telle une paysanne apeurée, pieds nus, triturant ses revers d’imperméable, la Junie de Georgia Scalliet face à Néron dans la fameuse scène qui suit son enlèvement, n’est pas moins pitoyable face à Britannicus, assise à la table du conseil, le visage caché dans ses mains, ou tournicotant nerveusement sur elle-même en se grattant le dos dans sa courte robe du soir avant le banquet fatal. Loin de toute aristocratique grandeur.
Toutes violences anéanties, toute incandescence éteinte,
Ne demeurent de ces situations brulantes,
Qu’un vulgaire exposé de complications amoureuses.
Et que dire de l’Agrippine de Dominique Blanc ?
Aussi éblouissante récemment en Merteuil dans « Les Liaisons Dangereuses » au Châtelet,
Aussi profondément décevante dans ce rôle d’impératrice aux abois, mère éconduite, perdant tout à la fois, pouvoir et amour filial.
Pas davantage de relief dans son jeu que dans celui de ses nouveaux camarades du Français. Pour costume cet ensemble pantalon mal coupé et ses cascades de longues boucles dans le dos, (allusion à l’antique ?) ne contribuent guère à sa prestance dans ses attitudes têtes baissée, regard tourné vers le sol, fins de phrases se perdant dans l’espace.
Hervé Pierre, Burrhus, toujours en pardessus, grosses lunettes sur le nez, garde obstinément une main ganté de noir. Il vocifère tempête, raisonne avec la grandiloquence d’acteurs du passé…
Quelques moments de présence chez Stéphane Varupenne, Britannicus, perfidie insoupçonnable chez Benjamin Lavernhe en Narcisse falot et conciliant.
Jouer moderne ?
Certains y excellent : Duclan Donellan, toujours,
Ivo Van Hove souvent : sa « Marie Stuart » de Schiller, nous a transportés dans une version ultra-contemporaine, décor et costumes.
Stéphane Braunschweig s’y fracasse.
Parvenir à nous priver :
De la beauté de la langue,
De la simple compréhension des répliques,
De la force des sentiments,
Des brulures des passions,
De la violence des ambitions
Si admirablement décrites et exprimées par le génie de Racine,
Relève de l’insulte,
De la mutilation,
De l’exaction.
Les metteurs en scène peuvent aussi se muer en monstre.