Victime de grèves et d’annulations en cascade, Jours de Joie, dernière Pièce d’Arne Lygre, un auteur de référence de Lulu, toujours montés par Stéphane Brauschweig, à l’Odéon cette fois, n’est plus à l’affiche et c’est tant mieux.
Après «Je Disparais», Lulu de novembre 2011, «Rien de moi», Lulu d’octobre 2014, et «Nous pour un moment»,Lulu de décembre 2019, ces œuvres ont toutes été célébrées depuis plus de dix ans ans dans ces chroniques.
Il n’en sera pas de même pour ce dernier opus, commande officielle de la «Comédie Française» d’Oslo.
L’auteur devenu «officiel» s’octroie des facilités.
A l’écriture sobre, voire elliptique de ses précédentes pièces donnant une intensité particulière aux situations et drames vécus par les personnages, succèdent dans «Jours de joie» d’interminables bavardages. Incommunicabilité entre mère et fille, mystérieuse absence d’un frère, déchirements d’un couple séparé, sont évoqués par la galerie de personnages successivement réunis au bord d’une même rivière, le long d’un cimetière. Ils s’affrontent puis interviennent auprès de chacun d’entre eux, prenant part à leurs difficultés. L’apparition du frère annonçant son «départ» vient clore cette première partie.
Dans la deuxième, la situation s’inverse. Nous sommes dans l’appartement d’un garçon On comprend qu’il vient d’être quitté par son compagnon, ce «fils» disparu en fin de première partie.
Les précédents personnages arrivent à leur tour: la mère, la fille, des amis, réunis pour une soirée. D’autres douleurs, d’autres souffrances s’expriment. D’interminables dialogues font tristement s’allonger le temps et une distribution approximative ne contribuent ni à soutenir notre attention, moins encore à partager les problèmes énoncés durant ces deux heures sans entre-acte.
Amère déception d’une soirée très attendue en ce début de saison.
«Duc et Pioche» de Jean-Marie Besset au Théâtre de Poche Montparnasse, avec Sabine Haudepin et François Eric Gendron. A l’affiche.
Dans la lignée des pièces «historiques» à deux personnages inaugurée avec beaucoup de succès par Jean-Claude Brisville avec «Le Souper», face-à-face entre Fouquet et Napoléon,
nous voilà ici dans le salon de Madame de Lafayette, née Duc.
Elle y reçoit son ami et conseiller, Le Duc de la Rochefoucauld, au moment de la rédaction de «La Princesse de Clèves».
Ces rencontres régulières donneront lieu à différents tableaux. A de vifs échanges littéraires, succèdent de charmantes querelles autour de la vie amoureuse du Duc ou moment d’émotion à la mort de deux de ses fils La Rochefoucauld tués au combat.
Madame de Lafayette à ses maux de tête, elle s’étiole dans sa campagne de Saint Maur. Monsieur le Duc et elle ne sont bien que dans leur demeure parisienne jouxtant les jardins du Luxembourg récemment plantés d’arbres.
L’écriture est leur vie, la recherche de la perfection, leur but:
«Il faut aller au plus grand scandale possible dans une langue impavide» affirme Madame de Lafayette.
En conclusion de ces riches échanges, Jean-Marie Besset prête à Madame de Lafayette cette jolie phrase révélatrice de leur entente profonde :
«Je suis bien aise de vous avoir donné de l‘amitié».
Sabine Haudepin est Madame de Lafayette. Habitée de son projet elle sait aussi se montrer une amie attentive et compatissante.
Élégance naturelle et belle prestance conjuguées, François- Eric Gendron campe un Duc à la mesure du grand personnage qu’il incarne.
Le duo fonctionne à l’unisson.
Amateurs de mots d’esprits, de répliques brillantes,
Curieux de l’intimité des «Grands»,
Cette pièce vous fera passer un moment délicieux.
Le public apprécie. Son plaisir éclate à la fin de la représentation.
Chœur des Amants de Tiago Rodrigues aux Bouffes du Nord, avec Alma Palacio et David Geselson jusqu’au 3o octobre.
Depuis sa nomination au poste de directeur du Festival d’Avignon, Tiago Rodrigues est joué dans de nombreuses salles parisiennes ;
Lulu n’a pas attendu cette consécration pour exprimer son admiration pour cet auteur-metteur en scène dont les premières pièces étaient régulièrement à l’affiche du Théâtre Bastille dirigé par Jean-Marie Hordé, honneur lui soit rendu.
Après «By Heart» tiré du sonnet éponyme de Shakespeare, ont suivi «Bovary», «Sopro», et le superbe «The way she dies» d’après Anna Karénine.
Spectacles dont vous retrouverez tous les comptes-rendus sur le site de Lulu.
Sans avoir été chroniquée, sa version de la «Cerisaie», montée l‘été passé en Avignon, marquait un tournant radical dans son travail.
Loin d’emporter l’adhésion de Lulu.
N’ayant pu assister en septembre à «Dans la mesure de l’impossible» pièce sur les Humanitaires montée aux Ateliers Berthier, Lulu n’a pas manqué «Chœur des Amants».
Écrite et crée à Lisbonne en 2007, Tiago Rodriguez a repris cet ouvrage pour lui donner une suite. C’est bien là notre seul regret.
Un début saisissant, haletant, angoissant, parfaitement juste et profondément humain nous confronte à l’ effrayante crise de suffocation dont souffre une jeune femme emmenée aussitôt à l’hôpital par son mari.
Formidable combat contre le temps, contre la mort, formidable urgence des échanges entre eux, formidables encore, les réflexions personnelles énoncées presque à l’identique, en chœur, mais avec de subtiles différences, formidables et étreignantes, les sensations et les observation de l’époux relégué en salle d’attente, ses angoisses de se voir annoncer le pire, en parallèle de celles de la jeune femme qui se voit mourir.
Sauvée in extremis, le retour à la maison, le partage d’une tasse de thé, les fausses bonnes résolutions, sont autant de morceaux de vécu partagé en harmonie et discordances.
Rien d’artificiel,
L’authenticité touche. La finesse des observations aussi.
Inexorable, le temps s’écoule, différentes étapes se suivent, grandissent les aspirations à la nature.
Un basculement s’opère.
L’écologie s’invite, elle envahit le texte, pas d’échappatoire.
Véritable litanie, répétées sans fin, les variations autour de la forêt nous accablent.
Cette forêt omniprésente «incarne» le temps lent.
«La foret n’est pas à nous, et alors le temps change, notre temps devient le temps lent de la forêt»
et d’affirmer, après la disparition de l’un des deux:
«Celui qui était encore une personne est devenu un arbre à son tour».
On pouffe.
Etait-il indispensable de céder aux diktats d’une mode touchant au caricatural?
Pourquoi tant d’opportunisme? Cet engagement dans la bien-pensance convenue aux prétentions lyrico-poéticardes ?
La rupture navre,
Les comédiens éblouissent cependant.
D’une présence confondante, la belle et grande Alma Palacio trouve un interlocuteur idéal en David Geselson .
Quel jeu maîtrisé, quelle concordance, quelles modulations dans les dialogues et quel sang froid encore quand ces deux magnifiques interprètes reprennent leur texte après avoir calmement attendu que s’arrête une insupportable sonnerie de téléphone.
Voilà bien une soirée disloquée.
On se désole de ne pouvoir faire un autre constat.