Après la reprise en main du parti, écrites pour être jouées à la suite « Audience » et « Vernissage » dénoncent chacune les pires perversions du régime communiste.
Dans « Audience » appréciez le choix du terme, le nouveau manutentionnaire d’une brasserie, auteur « déclassé » , est convoqué par son supérieur hiérarchique, fonctionnaire « déchu » et alcoolique invétéré.
Après force bières et protestations d’amitiés, enfin la promesse d’un travail moins pénible, au chaud et au calme, le « chef » révèlera ses motivations profondes : fasciné par l’univers de l’intellectuel, le souhait d’une rencontre maintes fois rêvée avec une grande comédienne de sa connaissance ;
Puis, avouant par sa propre incapacité à répondre aux demandes d’un « ami » de toujours, l’exigence d’un rapport à charge, rédigé et fourni par l’intéressé en personne.
Un sommeil éthylique salvateur viendra clore l’ « Audience ».
Notre dramaturge s’éclipsera non sans avoir glissé sous le visage du dormeur le magazine avec la photo de la comédienne convoitée.
Au sortir de la brasserie, nous changeons de salle et de décor pour retrouver notre personnage chez un couple d’amis proches.
Nantis, transpirant l’opulence, satisfaits de tout et d’eux-mêmes en particulier, ils le reçoivent pour le « Vernissage » de leur nouvelle installation.
Parfaits parvenus, au début de la soirée ils n’ont de cesse de vanter qualités et mérites de leur installation pour progressivement évoquer tous les aspects de leur réussite jusque dans les détails les plus intimes afin de pouvoir mieux critiquer devant leur hôte, les défauts de son épouse, lui reprocher la médiocrité de sa vie, « s’inquiéter » de sa récente incapacité d’écrire alors que son talent devrait lui permettre d’occuper un poste important, s’il ne perdait pas son temps « en conciliabules compagnie de ratés de son espèce »
Règles immuables du totalitarisme, chantage et délation s’exercent de toutes part.
A la veulerie, la lâcheté, la bêtise l’opportunisme, placide, notre interlocuteur demeure étranger, esquivant en douceur, restant dans le vague, sans jamais manifester d’agressivité.
Descendus au sous-sol du théâtre, entre fûts de bières, diable, escabeau, c’est assis sur des caisses, face au « bureau » du chef, derrière des vitres presque opaques de saleté, que se déroule « Audience ». L’atmosphère respire tristesse et grisaille.
Géant obtus, borné, inculte, mais intéressé cependant par ce manutentionnaire intellectuel sobre et discret, Stéphane Fiévet campe Sladek , le « chef » plus pitoyable encore que méprisable, un être primaire, compromis presque malgré lui, contraint par l’absurde à imaginer un sommet d’abjection.
Dans leur salon juste refait, où ils nous « Défient de trouver ici une seule faute de gout » inexcusables, en revanche, le couple d’amis.
Instruits, repus, pérorant, plastronnant, prétendument bienveillants : » Nous t’aimons énormément ; ta façon de vivre nous importe énormément », leur bonté affichée n’est que prétexte aux reproches les plus variés, avant que ne s’expriment mépris et haine face à « l’indocilité » tranquille de leur invité.
Frédérique Lazarini, roucoulante, sémillante, aguicheuse, est une parfaite Véra, insinuante, doucereuse, poseuse avant d’exploser en insultes et imprécations outrées.
A ses côtés, Marc Shapira, spencer et nœud papillon ridicule, est l’époux qui fait chorus avec sa femme dans leur redoutable duo destructeur.
De petite taille, fine moustache, harcelé, cerné, Cédric Colas, Ferdinand Vanek, oppose sa fragile silhouette à la tourmente qui s’abat de tous côtés. Circonspect, prudent, flairant la menace ou le piège, détaché, lassitude palpable, désespoir perceptible, il confère une profonde authenticité à son personnage, double de Vaclav Havel.
Plaçant les spectateurs presque au contact des comédiens, Anne-Marie Lazarini réussit une mise en scène qui nous conduit au plus intime de l’action dans les décors remarquables de François Cabanat .
Deux courts moments dont on sort profondément ébranlés, confondus par tant de force et de courage dans un univers aussi où l’absurde le dispute à l’ignoble.
« J’aime que le théâtre prenne des raccourcis pour évoquer en des images rapides et intenses les problèmes essentiels du monde dans lequel nous vivons »
« Audience » et « Vernissage » en sont la magistrale illustration.
Un grand moment de théâtre.