De cette rencontre très attendue, l’issue laisse comme un arrière-gout d’amertume, une impression d’incomplétude.
Pour Lulu, depuis longtemps, Ivo Van Hove s’impose comme un des plus talentueux et importants metteurs en scène contemporains.
Invité régulièrement à la M.A.C de Créteil, je n’ai eu de cesse de vous vanter son travail sur les textes d’auteurs aussi différents qu’Ibsen, Molière, Bergman, et très récemment Schiller, avec son admirable « Marie Stuart » (Lulu du 30 mars 2015)
La curiosité et l’intérêt suscités par le retour sur scène de la merveilleuse Juliette Binoche, représente pour nombre de parisiens, souvent rebutés par ces expéditions « lointaines », la première opportunité de découvrir ce belge cette fois présent dans la capitale « intra-muros ».
Las, cette découverte en laissera plus d’un perplexe, voire sceptique.
Disons-le, et avec quels regrets, le metteur en scène vient de décevoir.
Dans la pièce de Sophocle, tout s’oppose : loi de l’état, liens de famille, transgression et obéissance, liberté assumée et devoir civique, prépondérance de l’intérêt général et élans du cœur, pardon et vengeance…
A force de jouer jusqu’à l’extrême entre oppositions des personnages et confrontations des protagonistes, cette tragédie ne semble plus réunir que des acteurs sans aucun liens entre eux, pour presque se vider de son sens, et perdre en intensité dramatique.
Impressions encore renforcées par la scénographie et les lumières de Jan Versweyveld avec, surmontant une étroite ouverture, son astre solaire- lunaire occupant le mur de fond de scène, son vaste plateau nu, et sur le devant, en contre-bas, comme pour un bureau, ses meubles de rangements et son large canapé, entrecoupés de trois courts escaliers descendant de la scène.
Des vidéos, qui n’apportent rien, viennent parfois illustrer l’action.
Contrairement à ses précédentes mises-en scène, cette fois les effets de modernité, à l’efficacité si palpable et forte, servant le texte avec intelligence et profondeur, ne semblent, ici, ne relever d’aucune ligne directrice et manquent de cohérence comme manque de cohérence le jeu des acteurs anglais face à l’interprétation de Juliette Binoche .
Tous en costumes modernes, dans la troupe anglophone, seule s’impose Kathryn Pogson en Eurydice forte et souveraine ainsi que Finbar Lynch en Tiresias véritablement prenant dans ses vaines exhortations auprès de Créon.
D’une présence rare et sublime dès son entrée en scène, Juliette Binoche irradie la soirée :
Pieds nus, toute de noir vêtue, longue écharpe flottant au vent brûlant du désert, face à Ismène, sa sœur, elle impressionne.
Vibrante, indomptable, rétive.
Au mépris du décret édicté par son oncle Créon, elle n’abandonnera pas la dépouille de son frère sans lui donner de sépulture.
Sensibilité à fleur de peau, détermination inébranlable, elle affirme cette liberté à la fois transgressive et suicidaire, avec une force aussi maîtrisée qu’intériorisée.
Frêle silhouette, caractère d’acier, désespérée et déchirante à l’évocation de sa propre mort « ma tombe sera ma chambre nuptiale » elle suivra sa fatale destinée.
Créon, le souverain par qui Thèbes avait retrouvé la paix, sera à son tour victime de la loi édictée pour le « bien de tous » :
Hemon, son fils fiancé d’Antigone met fin à ses jours, tout comme Eurydice, sa mère, l’épouse de Créon, ne survivra pas à la mort de leur fils.
Accablé par ces deuils cruels, Créon demeurera seul, face à son désespoir et sa culpabilité.
La tragédie accomplie, si l’importance de tous les sujets évoqués, leur dimension humaine, politique, sociétale, nous sont apparus, l’impossibilité d’établir un lien entre eux demeure, criante.
Mystères de l’alchimie ?