Pas moins de quatre Molières, dont celui du meilleur spectacle du Théâtre privé, de l’auteur francophone vivant, auquel vient s’ajouter le prix Lucien Barrière,
Lulu se devait de combler cet oubli.
Devoir accompli.
Quand au bord de la faillite, en 1942, alors que le port de l’étoile jaune est imposé aux juifs par les nazis,
Monsieur Haffmann propose à son employé, Pierre Vignaud de reprendre sa bijouterie à la condition de le cacher,
En dépit des risques encourus, celui-ci accepte le marché en échange d’une bien étrange contrepartie :
Stérile, il exige d’Haffmann qu’il fasse un bébé à son épouse.
Replacé dans son effroyable contexte, (l’enregistrement d’interviews et reportages retransmis par la radio de cette époque sur le rôle des juifs et sur l’exposition du cinéma Berlitz vous glacent véritablement le sang),
Le sujet pouvait paraitre des plus scabreux, voire obscène.
Sachons le reconnaitre : le texte de Jean-Philippe Daguerre n’en porte nulle trace.
A l’opposé, dans sa pièce ainsi qu’il le déclare,
« La fraternité, l’amitié triomphe de toutes les ignominies ».
Une affirmation débordante de générosité.
Ainsi, dans un découpage parfaitement efficace et des dialogues non dénués d’humour et de tendresse, toute la première partie retrace le difficile, délicat, cheminement du trio obligé.
Pudeur et tact ne rendent que plus touchante la situation véritablement torturante vécue par les trois protagonistes.
Les tentatives infructueuses seront appelées à se reproduire.
Elles feront évoluer l’attitude de chacun.
L’instigateur du stratagème en souffrira jusqu’à la compromission avec l’ennemi,
Alors que doucement s’instaure entre son épouse et Haffmann comme une forme de tendresse et de complicité.
Cependant les créations de Vignaud connaissent un succès grandissant et la bijouterie prospère grâce aux achats de l’occupant. Des relations se nouent avec un de ses plus gros clients :
L’ambassadeur d’Allemagne, Otto Abetz, homme cultivé et « francophile ».
A l’occasion du diner organisé en son honneur,
Bravant tous les dangers, Haffmann décide de sortir de sa cave et d’assister au festin se faisant passer pour un cousin.
Ponctué des plaisanteries de mauvais gout de l’épouse française d’Abetz, une « poule », à table l’ambiance s’alourdit toujours davantage, les menaces se précisent
En dépit de la diversion tentée par Isabelle annonçant la nouvelle de sa récente grossesse devant son mari interloqué.
Espionné depuis longtemps, les trois protagonistes sont démasqués.
Ils ne devront leur salut qu’à la corruption du nazi :
L’appropriation d’un Matisse très convoité auparavant confié au bijoutier par le grand galeriste Pierre Rosenberg.
Un vol qui scellera le rapprochement de Vignaud et Haffmann et laissera nos trois héros réunis par le bonheur de l’heureux évènement à venir.
Ce dénouement aussi invraisemblable qu’utopique conclue la deuxième partie de la pièce.
Emporté par son humanisme débordant, sinon par complaisance dirait un mauvais esprit, Jean-Philippe Daguerre comble néanmoins son public.
Non dénué de sensibilité et de justesse dans sa première partie pour aborder de difficiles sujets :
« La pièce parle d’amour, de courage, de peur » dit encore Jean-Philippe Daguerre,
interprétée ce soir-là par un joli couple convaincant : Benjamin Brenière et Julie Cavanna, Pierre et Isabelle Vignaud, et par Alexandre Bonstein, au jeu tout en finesse en Joseph Haffmann,
Affaiblissant la portée des thèmes évoqués,
Ce dénouement nuit à la vraisemblance, en rétrécit la profondeur,
Laissant Lulu,
Prise au début par la situation et celle de personnages authentiques et attachants,
Soudain confrontée à son scepticisme nourri par l’Histoire.
Promesses non tenues après un bon départ.
A déplorer.