La reprise par Francis Perrin de son « Molière malgré Moi », démarche touchante de sincérité mais qui relève de la fête de patronage,
Agissant tel un électrochoc, la « Medéa » de Simon Stone invité pour la première fois en France, a brutalement réveillé Lulu de sa morne et paresseuse torpeur.
Un rectangle blanc translucide s’inscrit dans un grand panneau noir, sur la scène nue, assis au bord du plateau, un jeune adolescent est rivé à son ordinateur.
Aussitôt après, un couple se fait face. On comprend qu’elle sort d’un internement et qu’elle va tenter de retrouver une vie « normale » auprès de son mari et de ses enfants. Insistante, la vidéo scrute ses traits au-dessus de la scène.
Dénuement du plateau, blancheur de l’éclairage, gros plan sur le visage d’Anna, dialogues hésitants d’un moment de retrouvailles après cette longue et douloureuse séparation,
Rendent immédiatement perceptibles la tension entre les deux protagonistes.
Dans sa transposition du mythe dans la modernité, la « Medéa » de Simon Stone est Anna, directrice d’un important laboratoire de recherche. Jason devient Lucas, mari volage qui entretien une liaison avec Clara, encore étudiante et fille du propriétaire du laboratoire. Enfin Marie-Louise, l’assistante sociale chargée de veiller sur Anna de retour dans sa famille.
A la passion d’Anna, épouse délaissée, blessée, torturée par la jalousie,
A ses efforts désespérés pour reconquérir un mari, retrouver un « foyer »
Au désarroi de ses fils face à leurs parents qu’ils voudraient réconciliés : formidable scène où l’ainé les filme au lit avec sa caméra vidéo, clamant « Ce sera le journal de notre jeunesse », face à son père gêné et furieux,
Aux tentatives sans succès entreprises auprès de son patron et de Clara,
La faiblesse d’Anna, abus d’alcool et de médicaments, laissent place progressivement à un redoutable ressentiment proclamé avec force lors de terribles affrontements dont grandit la violence en proportion de l’éloignement de Lucas.
Harcèlement qui conduira Lucas à fuir avec enfants et maîtresse afin d’échapper à cette infernale épouse.
La vengeance n’en sera que plus cruelle.
La folie meurtrière ne s’arrêtera plus.
Clara, son père, périront de sa main.
Puis, avant de s’immoler, elle aura fait prendre ses médicaments à ses enfants qu’elle embrasse en leur souhaitant une bonne nuit :
« La dernière chose qu’ils aient vu : leur mère qui les embrasse » dit-elle,
« Nous recommencerons tout, nous t’attendons Lucas » espère-t-elle.
Lucas ne pourra qu’assister impuissant au désastre de la maison incendiée, face au tas de cendres sur lequel, enlacés, gisent les trois victimes.
D’une voix éteinte, en arrière- plan, tel le chœur antique, Marie-Louise nous fera le récit du drame.
Ici PAS de relecture.
L’audace et le talent de la création s’imposent :
Une tragédie soudain terriblement proche,
Des sentiments dangereusement familiers,
Une mise en scène absolument sobre à l’opposé des effets mode,
Et les acteurs du Toneelgroep, Marieke Heebink en Anna, Aus Greidamus en Lucas, Eva Heijnen, en Clara, et Jip Smit, en Marie-Louise, pour ne citer qu’eux, tous formidablement engagés, tous tragédiens grands et simples à la fois.
Enfin une authentique découverte.
Et un prochain rendez-vous la saison prochaine avec « Les Trois sœurs » d’après Tchékhov, dans le même théâtre, du 10 novembre au 22 décembre.
Lulu vous aura bien prévenus.