Circonspecte après les échos de la création à Rennes avec Stanislas Nordey,
Eblouie, cette fois par « Les liaisons dangeureuses » dans l’adaptation et la mise en scène de Christine Letailleur.
Quintessence de l’esprit libertin,
Froideur des calculs,
Cruauté des mobiles,
Comportements infâmes,
Innocences exploitées, dévastées,
Cœurs purs déchiquetés,
Caractérisent cet inégalable échange épistolaire.
Ces stratèges brillants devenus prédateurs redoutables, feront de leur espiègle badinage, des débuts, une guerre sans merci,
Le sacrifice des victimes accompli,
Un piège mortel à l’orgueil de la Marquise, à l’amour-propre du vicomte.
Sans fioritures ni accessoires, exception faites d’une chaise et de la fameuse ottomane,( incarnat toutes deux), la très belle scénographie d’Emmanuel Clolus :
Un décor à deux étages, escalier monumental à cour, ouvertures multiples comportant portes à deux battant ou dérobées, nombreuses croisées laissant entrevoir une galerie, permettant d’imaginer boudoirs ou salons ;
Merveilleusement réglées, cernant dans différentes tonalités les espaces (fenêtres, plateau, escalier) les lumières de Philippe Berthomé ;
Ils soulignent et encadrent merveilleusement le rythme de la correspondance,
Evoquent parfaitement les différents lieux de l’action.
Somptueuse dans toutes ses robes à paniers, éblouissante d’intelligence calculatrice, maîtresse de ses emportements, s’interdisant tout élan du cœur, Dominique Blanc est une Merteuil aussi séduisante que dangereuse.
Coquette avérée et femme à l’implacable lucidité, la charmeresse se découvrant une rivale, glaçante soudain, contraindra Valmont à l’irréparable, allant jusqu’à en obtenir le reniement de son amour.
Posée, souveraine, la comédienne bientôt au Français, brille d’un même éclat dans tous ces registres.
Avec un insolent panache, virevoltant, pétillant, entreprenant, Vincent Perez incarne un Valmont idéal. Il en a la beauté, la jeunesse, l’inconséquence, la légèreté, le charme.
Son jeu au diapason de celui de sa partenaire, cœur trop endurci, ne s’avouant pas ses » sentiments » pour Madame de Tourvel, l’infâme, le perfide, le débauché, préfère mépriser les conséquences de son abandon plutôt que de céder à ses sentiments authentiques.
Autour de ces deux personnages principaux viennent compléter encore la distribution :
Richard Sammut, Le Chasseur, formidable valet, roué, fieffé coquin ;
Karen Rencurel, Madame de Rosemonde, charmante vieille dame, l’amie compatissante, la conseillère avertie, la tante bienveillante,
Fanny Blondeau, Cécile de Volanges, l’oie blanche pervertie qui finira cloitrée,
Véronique Willemaers, Madame de Volanges, la dupe de sa fille en dépit d’une étroite surveillance,
Et la délicate Julie Duchaussoy en Madame de Tourvel qu’on aurait souhaitée plus vibrante face à ses tourments.
On pardonne facilement à Christine Letailleur les légères faiblesses des scènes du dénouement : la rupture avec Madame de Tourvel, la mort de Valmont en duel, ne dégagent pas tout à fait l’intensité qu’ils contiennent, alors que perce l’émotion ressentie par la vieille Madame de Rosemonde à l’annonce de la disparition de son neveu et de son amie.
Des broutilles, comparées aux trois heures de ce spectacle profondément abouti.
Alliant puissance de l’intelligence et du verbe,
La langue, pure, concise, limpide, de Choderlos de Laclos, délectable, admirable, résonne dans toute sa splendeur,
L’esprit du siècle des Lumières étincelle, à s’en bruler les ailes comme les héros,
Travail de la metteur en scène, interprétation des comédiens, beauté des décors, lumières et costumes ( Thibaut Welchin) nous en restituent toute « la substantifique moelle»
Démonstration magistrale de l’inutilité des relectures.
Les chefs d’œuvres se suffisent en eux-mêmes,
Christine Letailleur signe un des plus beaux spectacles de cette saison.