Vieux clown à bout de force, Jacques Weber émerge enfin.
Premier bruitage de chaise raclant le plancher,
Premiers gestes de difficultés à se mouvoir, à voir,
Premières toux douloureuses,
Premiers silences lourds de signification.
Tout en intelligence aussi sensible et profonde que respectueuse des indications de l’auteur,
Peter Stein signe pour ce spectacle une mise en scène magistrale de « La dernière bande ».
Sous sa direction, Jacques Weber atteint ici à une forme de génie théâtral, Sans emphase ni effets, difficilement dépassable.
Dans ses gourmandises, bananes ingurgitées goulument sans mains,
Dans ses penchants pour la dive bouteille, disparaissant derrière le plateau pour vider à la dérobée moult verres alcoolisés,
Dans sa myopie pour déchiffrer ses écrits ou pour trouver le trou de serrure,
Dans son recueillement comme dans sa rage,
Dans sa nostalgie comme dans son mépris,
S’entendant évoquer ses velléités littéraires, ses liaisons passées,
Dans sa résignation et son accablement face à la désolation du présent,
Humain, pitoyablement humain, tragiquement humain.
La vue de son Krapp murmurant avant d’expirer imperceptiblement s’étalant doucement sur son bureau, ultime couche inhospitalière et image inversée de l’éphémère bonheur vécu sur la barque avec la seule femme aimée,
Finit de bouleverser et d’étreindre,
Chacun touché au plus profond
Désolé, anéanti, compatissant.
Un Beckett inoubliable,
Un très grand moment de théâtre,
Une soirée d’anthologie.