Contrairement à la sévérité redoutée, à l’opposé de la personne vieille et ventripotante imaginée,
Cocteau sut aussitôt, par sa gentillesse naturelle et son esprit pétillant,
Gagner l’affection de cette petite fille de sept ans.
A partir de ce jour, rien, ni la brutale et injuste rupture d’une amitié de douze années du fait de Francine,
Ni le demi-siècle écoulé depuis la disparition du poète,
Ne viendra entamer, diminuer, atténuer le souvenir laissé par Cocteau dans la vie de Carole.
Evoqués dans son livre » Je l’appelais Monsieur Cocteau » ces souvenirs viennent d’être adaptés pour le théâtre par Bérangère Dautun.
La comédienne, ancienne sociétaire de la Comédie Française, nous révèle un nouveau talent jusqu’alors inconnu.
Pas à pas, années après années, nous voyons évoluer ce sentiment qui liera l’enfant devenue jeune fille à cet ami singulier, attachant, attentionné, fascinant, éblouissant.
Amitié bientôt devenu à jamais amour filial,
Tendresse irremplaçable, découverte de la sensation d’exister, bonheur d’une vie de famille rêvée, témoin direct du travail du créateur, rencontres inoubliables, notamment avec les Picasso :
Inestimables dons reçus par Carole,
L’empreinte indélébile laissée par le poète.
Evocation aussi des fragilités et blessures de l’homme de générosité et d’inquiétudes mêlées, qui affirme « Je déteste la haine et j’aime qu’on m’aime » comme il évoque, « le poète emprunte différents véhicules » hanté par le travail, « ce moi nocturne qui me commande »
Le définit encore cette exquise touche de fantaisie et d’humour manifestée jusque dans les moments les plus dramatiques, lorsque frappé par un deuxième infarctus, il écrit « je suis soigné par deux souliers : le Professeur Soulier et l’acupuncteur Soulier de Morand ».
Dans un décor aussi évocateur de Santo Sospir que limité à quelques éléments caractéristiques : un fauteuil et une table d’osier, une échelle et un établi,
Avec un simple drap pour écran, sur lequel s’inscrivent, tapées à la machine les têtes de chapitres, et se projettent les fresques,
Accompagné par l’entêtante musique de l’ami Satie,
Bérangère Dautun nous fait partager avec une rare présence, beaucoup retenue, et une profonde sensibilité, les émois de Carole, tour à tour émerveillée, heureuse, admirative, amusée, enfin bouleversée, déchirée par cette brouille, fatale à un bonheur perdu à jamais, mortelle pour Cocteau.
Toujours présent à ses côtés sur le plateau, Guillaume Bienvenu assure avec une légèreté toute emprunte d’élégance faussement désinvolte le personnage de Cocteau.
Aucune mièvrerie dans l’interprétation de Bérangère Dautun,
Pas l’ombre d’effet « poétique » redondant chez son jeune et séduisant partenaire.
Du livre, l’adaptation faite par la comédienne, le découpage et la mise en scène de Pascal Vitiello, tirent un récit animé, vivant, attachant, fourmillant d’anecdotes délicieuses jusqu’à son tragique dénouement.
Irremplaçable témoignage direct, familier, raconté au travers d’un regard innocent, vécus par deux cœurs sincères sacrifiés.
L’auteur ne pouvait être mieux servie au théâtre.
Au-delà du romanesque,
Véritablement poignant.