Gouaille noire
La langue verte,
L’univers des « Dames d’amour »
Leurs différences :
La légèreté d’ « Irma »
Une « Madame » grinçante.
Conté par la tenancière du « Cabaret des Inquiets » :
« Irma », une banale histoire « D’un ménage à deux » entre
Nestor le Fripé, souteneur sentimental,
Et Irma, « La douce » qui en pince aussi pour son homme.
Résumons l’intrigue :
Aspirant à « l’exclusivité » des faveurs d’Irma, Nestor jaloux, sera victime d’un stratagème qui l’enverra au bagne après un procès inéquitable.
Inconsolable, dans l’attente d’un heureux évènement, Irma continuera d’exercer sans allant.
Quelques aventures plus tard, une fin délicieuse autorisera des retrouvailles émouvantes pour fêter une… double naissance !
Je n’étais pas en âge pour assister à la création d’ "Irma" par Colette Renard (1958) mais la reprise à Chaillot, en 2000, m’a laissé le souvenir d’un foisonnement inventif signé Jérôme Savary avec, entre autres trouvailles, à Cayenne, les alligators tricotant des brassières pour le futur bébé.
Moins débridée, la mise en scène de Nicolas Briançon réunit cependant une distribution formidable, qui emporte le public.
Jamais Lorant Deutsch n’aura été aussi convaincant que dans son rôle de souteneur amoureux, ce Nestor au petit pied et au grand cœur, imaginant le personnage du « client unique », Monsieur Oscar, le barbu prévenant sous le charme duquel Irma ne saura résister, ce qui ne fera qu’accroitre sa jalousie dévorante.
En blondin à fine moustache, le comédien chantonne plaisamment, joue avec esprit, et danse fort gentiment.
Nicole Croisille, impeccable professionnelle, meneuse de revue rompue à l’excellence de la scène américaine, dégage toute l’autorité requise pour son rôle de tenancière au long cours.
Fume-cigarette à la main, ou moulée dans un collant serpent, elle crée ce rôle de femme, un homme à l’origine, avec une belle assurance, à la fois témoin et complice, énergique et sagace commentatrice au verbe fleuri.
Après une Clotilde Courau, peu douée pour ce genre d’exercice, Marie-Julie Baup campe la plus irrésistible des Irma : fraiche, naturelle, candide et poétique, gracieuse et craquante, mutine et émouvante.
En guêpière ou dans sa triste robe de « deuil », fine silhouette surmontée d’une choucroute jais, elle joue la comédie, entonne les airs d’anthologie tels « Ha ! dis-donc, dis-donc, dis-donc » ou « Ya rien à se dire, ya qu’à s’aimer » et danse, fine et souple avec une charmante aisance et la même spontanéité, tour à tour séduisante, effrontée ou attendrissante.
Cinq musiciens et des comédiens tous aussi engagés viennent entourer ce savoureux trio haut en couleur.
Comédie pétrie d’esprit,
Description d’un Paris canaille qui ne verse jamais dans la vulgarité,
Cette « Irma » n’a pas fini de faire chavirer les cœurs.
Pourquoi résister ?
Qu’attendez-vous pour vous laisser séduire ?
Une occasion rêvée de « redécouvrir » une légèreté oubliée,
Toujours aussi rafraichissante.
Autre vie de « fille publique » la « Madame » de Remi Devos.
Retrouver Catherine Jacob, interprète inoubliable aux cotés de Micha Lescot de « Jusqu’à ce que la vie nous sépare », pièce féroce et grinçante du même auteur, souvenir d’absolue félicité, représente un moment attendu.
Grande comédienne, au pouvoir comique déjà remarqué depuis son rôle d’une Madame Jourdain ne trouvant que dans l’état d’ébriété permanent la parade aux délires de son « Bourgeois gentilhomme (monté par Jérôme Savary en 1996), la voilà seule en scène pour le monologue de « Madame ».
Assise dos au public, face aux plis d’un rideau en fond de scène noir, dans un long cardigan souple rayé de paillettes noires, cheveux blonds couvrant les épaules, la voilà qui entame le récit de sa vie, de la première guerre mondiale jusqu’à la guerre d’Algérie, la guerre silencieuse.
Des histoires, des hommes, des conflits et des mésaventures, elle en aura connus Madame.
Pauvre paysanne employée à la fabrication d’obus, un dénommé Landru l’initie aux bonheurs de la chair :
« Au paddock c’était Versailles, au plumard un virtuose »,
Son indigence la sauvera d’une fin prématurée dans la cuisinière de Gambay .
Elle n’en deviendra pas moins « mauvaise épouse, mauvaise fille et mauvaise mère » :
Ouvrière dans un atelier de confection, puis mariée à un poilu estropié et à moitié fou, abandonnant ses deux enfants chez ses parents à la mort du mari vécue comme une délivrance, finissant pensionnaire d’une maison close, de luxe, après avoir cédé aux charmes d’un souteneur.
Quand elle rencontrera l’amour, c’est d’un apatride joueur dont elle s’éprendra, « Encloquée pour la troisième fois », le père sera déporté pendant la seconde guerre. Elle, devenue madame « Pour accueillir les fridolins » et « Donner à manger à mon gosse, ma seule politique », s’inquiètera de le voir, devenu jeune homme : « s’opinioner politique ». Engagé en Algérie, il tombera dans les Aurès.
Entièrement rédigé dans un argot à faire pâlir Michel Audiard, le texte est percutant, assassin, sans aucune faiblesse dans toute la partie consacrée à l’époque de la grande guerre ;
Encore truculent et d’une crudité accomplie dans le récit de la séduction du souteneur suivi de l’entrée et de la vie au bordel, comparée « A une entrée au couvent »,
Essoufflement sensible et faiblesse palpable, « anémient » » les derniers épisodes du récit.
Impassible, imperturbable, Catherine Jacob « dégoise » laconique, taciturne ses chapelets d’histoires sordides.
Les bas-fonds, on y plonge avec elle, pas d’échappatoire.
Violentes, terrifiantes, les descriptions de Quatorze, criantes de vérité, vous explosent en pleine « poire ».
Truculentes, les confidences amoureuses se parent avec bonheur de couleurs argotiques.
Moins réussies, lassitude sans doute, la dernière partie manque de ce tranchant qui sauverait de l’affadissement une histoire soudain morose, trop linéaire.
La plume de Remi Devos toujours aussi acérée au début, s’émousse dangereusement en route.
On l’aurait souhaitée affutée toujours.
Et comment ne pas se souvenir des « Combats d’une reine » de Grisélidis Réal, avec Judith Magre,( Lulu d’octobre 2014) : foutrement authentiques ceux-là !