S’enhardir un vendredi soir à aller jusqu’à Créteil relève du masochisme avec l’assurance d’une heure trente d’embouteillages pour effectuer le parcours.
Quand Andrés Marin est à l’affiche pour seulement deux soirées, on est prêts à tous les sacrifices.
Depuis la disparition de l’unique, l’inoubliable Antonio Gades, entre les deux plus grands danseurs actuels de flamenco, Galvan et lui, mes préférences vont à Andres Marin.
« Yatra » signifie « voyage » en sanscrit.
Ce spectacle né de la volonté d’une rencontre, réunit trois univers ; le chant traditionnel du nord de l’Inde, le Flamenco, et le Hip-Hop.
Le rideau se lève : en fond de plateau, les cinq musiciens de l’ensemble Divana se détachent de la pénombre.
Assis arc de cercle, leur tapis de velours rose « indien » leurs turbans et leurs châles colorés , points lumineux d’une atmosphère tamisée, instaurent aussitôt un complet dépaysement.
Dès les premières notes l’envoutement opère.
Jaillit, superbe, la musique du nord de l’Inde, jadis entendue tout au long du film de Sayajit Ray, « Le Salon de Musique ».
Chant profond, « Cante Hondo » syncopé, tenu, long sanglots des cordes « sarangui » et kamanchiya » , claquements des « kartâl » (claquettes de bois tenues librement, ancêtres des castagnettes ), et du « dholak » sorte de tambour, nous rappellent la lointaine origine des gitans.
D’autres sons accompagnent l’entrée d’Andrés Marin : dans une diagonale de lumière, envergure d’aigle royal, impavide, majestueux et superbe, il traverse la scène dans un bruit d’éléments déchainés.
Ascétique, impérial, ses gestes ont le tranchant d’un stylet affuté, la maitrise de l’absolue élégance, la précision du scalpel, la parfaite domination de leur puissance, alternant « accélérations » et « ralentis » à la vitesse de l’éclair.
A ses côtés, plus petit, plus râblé, tout en muscles déliés, Kader Attou, nous donne à voir une danse véritablement acrobatiques, exécute des figures époustouflantes d’adresse, nécessitant une virtuosité aussi confondante : son tour complet du plateau effectué en toupie sur les épaules, ses jambes à la verticales animées de mouvements savants, parfaitement synchronisés en font une démonstration incroyable.
Florent Gosserez, le danseur qui l’accompagne, est tout aussi doué.
En solo, parfois réunis à deux ou trois, ou en duo avec le chanteur puis , face au génial joueur de « claquettes » pour Andrés Marin dans un moment de zapateado d’anthologie, les numéros se suivent, les danses se confrontent, se confondent, s’interpellent, un percussionniste se joignant aux musiciens indiens, une musique moderne alternant aussi avec la musique traditionnelle .
Fascinantes juxtapositions,
Rencontre au sommet des trois disciplines que rien ne semblait rapprocher,
Font se dresser un public littéralement électrisé
Et regretter la brièveté des représentations.