Noyées dans les zébrures de brumes voilées de gazes :
L’apparition d’Isolde, robe émeraude, manteau rubis claquant au vent agité par quatre danseurs, telles les voiles du navire,
Tristan foudroyé d’amour, comme électrisé à la vue d’Isolde,
Ondoyant tels les flots, les corps des danseurs roulant au sol, baignés de couleurs sourdes, feuilles mortes ou vert sombre de leurs costumes,
Avec pour tout élément scénographique un monumental escalier aux paliers hérissés de piques, à la fois château, navire,
Dès le prologue, « Tristan et Isolde » stupéfie de beauté,
Confond par la profondeur illustrative de sa chorégraphie.
L’intensité émotionnelle de la partition wagnérienne ainsi sublimée, ce ballet narratif nous en restitue toute la dramaturgie.
Sous la magie du filtre d’amour, un cordage tendu par Isolde « liera »le couple à jamais .
Scène ensorcelante, Isolde » s’enroulant » à Tristan avant que de s’élever légèrement du sol, ses pieds effleurant le plateau en un doux tourbillon pour se poser sur les épaules de Tristan, telle une liane autour d’un arbre, un papillon sur une fleur.
Embrasement des corps tout aussi palpable dans la scène de la passion. De noir vêtus, entourés de planches vieil or, cloisons mobiles découpant l’espace et se déplaçant à vue, seront aussi toboggans, char triomphal et parois fatales découvrant au roi, descendu par l’escalier- château ces amours coupables.
Après un combat singulier, féroce, contre le souverain, le corps transpercé de coups d’épées figurées par des perches, la mise à mort de Tristan cerné sur les marches du palais par les sbires, constitue un moment d’un rare violence chorégraphique.
Christique, de blanc vêtu, comme déjà enveloppé d’un linceul, entre soubresauts de l’agonie, et moment de grâce comme en lévitation, son corps tressaute, s’élève, se tord, les perches servant de pal, de tuteur, de levier.
Théâtrale l’apparition d’Isolde rejoignant son amant : en fond de plateau, foulant au sol un rai de lumière, métaphore du lien qui les unit, elle traverse le plateau nimbée d’un halo. Son manteau incarnat, sur robe immaculée, claque à nouveau au souffle du vent. Ainsi drapée dans la couleur sang, elle retrouve Tristan agonisant.
La scène finale, voit les deux amants réunis, au milieu de flots agités, toujours figurés par le corps de ballet.
Ballotés, réunis, disparus, vomis par les vagues qui enfin les engloutissent, tous les corps des danseurs fondus en une houle, un ressac, une marée qui vous submerge, telle la musique du compositeur.
En se servant de chacun des accessoires symboliques, perche, cordage etc…Un « témoin », ravissante danseuse, ponctuera chacun des épisodes souvent entourée du corps de ballet faisant écho.
Geoffrey Van Dyck, superbe Tristan, expressif, dramatique, inspiré, Sarawanee Tanatanit, Isolde au visage impassible mais aux mouvements enchanteurs, entourés d’Armando Gonzalez Besa, le roi impressionnant de force, et Sara Shigenari, le gracieux témoin, sont les interprètes marquants du ballet crée par Joëlle Bouvier.
Proposé à la chorégraphe par le directeur du Ballet de Genève, Philippe Cohen, on s’incline, profondément émus et admiratifs face au défi :
La chorégraphe ne pouvait mieux le relever,
Et nous révéler, je la cite :
« la part du corps qui se trouve dans la musique de Wagner ».
Nouvelle grande soirée à Chaillot.