Librement adaptée, cette commande du Festival Berlioz à Arthur Lavandier a été reprise pour l’inauguration de la grande salle de l’Athénée, encore dépourvue de ses fauteuils d’orchestre.
Irrévérencieuse, voire iconoclaste, la version de « l’Adaptateur ».
Souci de rendre plus « populaire », voire « accessible » ce monument de la musique française ?
Farce de plaisantin, canular d’un esprit blagueur ?
Le jeune chef, Maxime Pascal, nous avait avertis.
Il allait essayer et « voir » …
Les surprises furent nombreuses.
Pas forcément appréciées de tous.
Bruits de pluie et d’orage dans le premier mouvement,
Accents swing digne des grandes formations de Duke Ellington s’intercalent dans le suivant,
Stridences ou notes dans celui d’après,
Quelques sons aquatiques agrémentent un autre passage,
Comme résonne longuement le cor des Alpes en ouverture d’un mouvement où il ne figure pas,
Jusqu’à l’entrée, peu avant le final, d’une fanfare retentissante, force cuivres et percussions, en lieu et place de l’orchestre.
Energiquement dirigé par son jeune chef, les morceaux « traditionnels » n’en pas moins été exécutés avec un très respectable engagement par l’ensemble « Le Balcon ».
Se donnant sans compter, Maxime Pascal nous a déjà donné l’illustration de son talent à l’occasion d’autres soirées.
Celle-ci ne restera pas forcément dans les annales.
Traviata.
Dans le cadre savamment défraîchi des Bouffes du Nord,
Tombant des cintres un immense voile du tulle blanc s’étale jusqu’au plateau qu’il recouvre de ses ondoiements arachnéens.
L’atmosphère sépulcrale préside aussitôt l’entrée des interprètes.
Prisonniers derrière ce voile, tels des insectes pris dans un filet, se frayant un chemin dans l’obscurité à la lumière de torches, fantômes trébuchants, marionnettes pathétiques,
Leur bal exsude fausse gaîté et excès ;
La fatalité aussi, illustrée par ce « pont » que traverse Violetta écartelée, au retour de la soirée :
Tel un cercueil de verre ou une serre horticole emplie de plantes, il devient, couvercle soulevé, le pré accueillant où Alfredo se prélasse tout à son bonheur, et tombe de la bien-aimée dans laquelle il s’effondre face contre terre.
Avec ses élégants costumes contemporains qui restent intemporels
Ses allusions à notre époque avec des dialogues révélateurs de comportements très actuels : recours aux adjuvants, spontanéité et décontraction des « jeunes »,
Avec ces libertés prises avec la musique et les instruments signées Florent Hubert et Paul Escobar,
L’intensité du drame demeure préservée, en dépit de quelques longueurs,
Servie par un exceptionnel ensemble d’interprètes, en totale harmonie.
Déjà encensée par Lulu dans « L’annonce faite à Marie » (juillet 2014) Judith Chemla.
Délicate, fine, fragile comme une brindille, mais vibrante d’amour, déchirante de force tragique.
Fougueux, séduisant, sincère, enflammé, Damien Bigourdan est un parfait Alfredo, objet d’un unique bonheur et cause d’un mortel abandon.
Touchant de scrupules et de culpabilité, Jérôme Billy possède l’autorité du rôle de Giorgio Germont,
Elise Chauvin compose aussi bien Flora, l’amie inconséquente que la dévouée Anina au service de Traviata, ainsi que Florent Baffi, docteur.
Pas de grand orchestre, vous l’aurez compris,
L’ensemble des musiciens n’en est pas moins remarquable, certains passant avec autant d’aisance de leur instrument à l’interprétation de personnages secondaires.
Déjà éblouie par ses précédents spectacles : « L’autre Monde ou les Etats d’empire de la Lune » de Cyrano de Bergerac ( Lulu de juin 2013) , « Pantagruel » ( Lulu de novembre 2013) pour le théâtre ,
Et « Ariane à Naxos » pour l’opéra (mai 2013) ,
Je ne vous cacherai pas mes préférences pour ce dernier. Etourdissant.
Parfois au détriment de l’intensité dramatique, l’articulation entre passages » modernes » et « classiques » provoque comme un fléchissement de l’action.
Mais cessons-là de pinailler,
Il ne s’agit que de détails.
Avec cet opus Benjamin Lazar vient d’atteindre une forme de consécration.
Sa « Traviata » a trouvé sa juste place aux Bouffes du Nord.
Elle n’est pas sans rappeler la « Carmen » de Peter Brook.
Contrairement à bien d’autres de nos jeunes espoirs, le metteur en scène n’a pas « trahi »
Lulu ne peut que s’en réjouir,
Depuis sa découverte, son admiration ne s’est jamais démentie.