Mais en spectateur de seconde zone, comme tant d'autres " refuznik " de l' Opéra de Paris qui avait imprudemment fait figurer dans le programme de la saison le gala de Nicolas Leriche. Après bien des manoeuvres dilatoires pour faire " patienter" les abonnés désireux d'assister à la soirée et face au mécontentement exprimé par nombre d'entre eux, Lulu en tête, l'Institution nous a finalement gratifié d'un billet pour voir la retransmission en direct au cinéma!
Soit, en route pour la salle obscure, quelque retransmission sur grand écran peut présenter certains avantages.
Pas celui de découvrir , en gros plan, dès les premières images, le nouveau visage de Nicolas Leriche : figé, comme recouvert d'un masque de cire. Sa superbe stature, elle, est fort heureusement inchangée. Tout comme demeure inchangé le génie de l'interprète irremplaçable, qualités plus incertaines dans ses chorégraphies .
Ainsi ne nous a pas été épargné la séance de dressage tirée de Galigula, créé en 2005 à Garnier ( j'y étais aussi, très réservée sur le résultat) avec Mathieu Ganio tenant à la longe à Audric Bezard, mors aux dents, exécutant moultes cabrioles . Pas davantage convaincant l'extrait des " Forains" ballet symbolisant sa rencontre avec Roland Petit.
Et puis, quand on a vu à plusieurs reprises " L'Après-midi d'un Faune" avec Nicolas Leriche précisément, impossible de se satisfaire de Jérémie Belingard, loin de dégager le même érotisme brulant qui fit scandale en son temps. Cependant, comme trop rarement, Eve Grinsztajn est une nymphe belle et véritablement ensorcelante dans ses mouvements presque statiques, si novateurs, de Nijinski.
En hommage à Noureev, un extrait de l'acte II de Raymonda, illustration de la flamboyance du maître, me parait terriblement daté malgré la " splendeur" des costumes et les difficultés accumulées pour faire montre de la virtuosité du corps de ballet.
Mais cessons là de récriminer.
Nicolas Leriche aussitôt sur scène, la magie, que dis-je la fascination, l'éblouissement s'emparent du spectateur.
Dès sa première variation, accompagné par le chanteur de variété Matthieu Chedid, ondoyant dans sa chemise et son pantalon de jean laqué bleu nuit, Nicolas Leriche se laisse aller à une " improvisation" aussi séduisante qu'élégante, parfait alliage de grâce, de naturel, de maîtrise.
Jamais on ne se lassera de l'admirer dans son interprétation du " Jeune et la Mort" aussi puissant que tragique, d'une rare intensité dramatique, avec une Eleonora Abbagnato, redoutable femme dominatrice et force maléfique dans le rôle de la Mort.
Quel bonheur encore de " les " revoir, Sylvie Guillem et lui, reprendre " La Porte" tirée d'" Appartement " de Mats Ek, symbole de la modernité au répertoire des ces immense danseurs créateurs du ballet. Leur plaisir évident, leur talent intact a du ravir le chorégraphe suédois dont les recherches, souvent dérangeantes, ne sont jamais de simples effets.
Au final, " Le Bolero" ne pouvait que susciter le délire, et délire il y eu.
Animal, masculin, sensuel , l'envoutement est total. Musique et corps en totale symbiose, lancinant, enflant , s'intensifiant jusqu'à l'explosion paroxystique, Nicolas Leriche, avec Béjart, fut véritablement volcanique, éruptif, faisant voler en éclats les frontières de la danse.
Un dieu de la danse quitte l'Opéra de Paris.
Il nous réservera encore sur d'autres scènes d'inoubliables moments.