Inégales.
Comme il se doit actuellement dans l’ensemble des programmations du spectacle vivant,
Il revient à trois femmes chorégraphes l’honneur d’ouvrir la saison de danse à l’Opéra.
Nullement motivée par ce prétexte, mais seulement soucieuse de combler une lacune dans le répertoire de Crystal Pite admirée par Lulu depuis ses premières créations, la soiré s’est révélée bancale.
Disons-le sans ambage, le ballet de cette chorégraphe normande, qui a travaillé avec Jean- Paul Gaultier, a su nous séduire.
Son style Pop- rock, la musique de Micka Luna, formidablement entraînante, ses danseurs habillés de couleurs fortes aux reflets brillants du latex, servent parfaitement le sujet abordé: «la violence de la mort, le devenir de ces disparus, la plongée dans un monde parallèle». Seul élément décoratif sur le plateau: une cabine téléphonique à l’origine du mortel appel.Symbole «anachronique», kitsch avec ses éclairages évolutifs, rapidement oubliée.
Comme l’écrit Marion Motin, la pièce se veut à la fois «narrative, symbolique et onirique». Défis relevés par quinze danseurs, avec en solistes Axel Ibot, La Mort et Alexandre Boccara, Le Vivant.
Brumes, choeurs de lamentations, guitares électriques syncopées rythment chacune des moments évoqués, magnifiquement enchaînés par l’ensemble des interprètes.
Une pièce convaincante.
Malgré une lecture attentive des intentions de la chorégraphe: le passage du temps circulaire de la naissance à la mort, avec lever et coucher de soleil, du principe masculin et féminin symbolisé par les deux moitiés du Ying et du Yang, enfin de l’osmose avec la nature,
Lulu n’a vu qu’une suite de mouvements d’une interminable lenteur, interprétés par des danseurs vêtus de costumes informes en toile à beurre d’un blanc sale.
Noyés dans la brume ou sous les faisceaux lumineux venant des cintres, ces êtres indistincts, aux mouvements indéfiniment étirés distillent un ennui soporifique.
Certains y seront sensibles.
Pas Lulu.
Enthousiasmant.
Précédant «The Event», créé à Chaillot, (Lulu de juillet 2017), et l’éblouissant «Body and Soul»,
L’Opéra de Paris a eu la bonne idée de reprendre cette première création commandée à la chorégraphe canadienne.
Inspirée par la version des «Quatre Saisons» de Max Richter, l’évidence de cette musique s’impose dès le lever de rideau.
Conçu pour cinquante danseurs, le corps de ballet, pulse, palpite, s’enfièvre dans des ensembles éblouissants, illustration magistrale de la maîtrise parfaite de Crystal Pite.
Mêlées compactes, spirales étirées, alignements à géométrie variables, hochements de têtes mécaniques s’élevant de corps repliés, corps inertes étendus au sol ou immobilisés sous les flocons de neige, cercles d’où n’émerge qu’une figure dressée, tenue à bout de bras…, la richesse et l’inventivité de cette chorégraphie n’a d’égale que sa perfection formelle, sa beauté saisissante, sa puissante énergie.
Etourdissante, la danse atteint ici à ses sommets.
Elle porte et vous emporte,
Son pouvoir de fascination, d’éblouissement irradie.
Une standing ovation l’acclame.
Lulu sur un nuage, aussi.
Modernités.
Affluence des grands jours au théâtre de la Ville réouvert depuis peu.
Dans le monde des balletomanes, la présence d’Aurélie Dupont, ancienne danseuse étoile et directrice de la danse à l’Opéra Garnier témoignait de l’importance de l’évènement.
Déjà enthousiasmée par la chorégraphe Sharon Eyal découverte en 2017 dans le Foyer de Chaillot( Chronique de juillet 2017), Lulu attendait, impatiente, sa nouvelle création. Elle sera précédée par 15 signée de Tao Ye:
D’origine chinoise, dansée sur une musique répétitive avec percussions et signaux de Radio-Londres, le chorégraphe y développe sa théorie basée sur «la circularité, refus de la singularisation pour créer l’ouverture»complétée par cette affirmation:
«Les mouvements sont comme perpétuels, ouvrant des possibilités infinies»
Dansée pour la première fois par une compagnie non asiatique, vingt-sept interprètes, filles et garçons, dans leurs longues jupes-culotte noires, se plieront admirablement à cette chorégraphie répétitive, faisant claquer leurs mains successivement sur chaque partie du corps, déclinant, sans la moindre rupture du groupe, toute une série de mouvements débutés, debout, avec bras, puis buste genoux, jusqu’à aboutir au sol, au son d’un retentissant «HA» poussé en choeur. Magistral au point de vue performance, parfaitement exécutée, mais lassante par ces interminables répétitions, la pièce n’a pas vraiment convaincu Lulu . Parfaite, la prouesse technique n’exclue pas l’ennui.
Assumant le risque de passer pour «ringarde», renouveler des réticences.
La chorégraphie veut l’illustration de:
«La réunion de personnes qui sont, à travers leur particularités, en quête d’intériorité, d’extase, ou de sérénité partagée».
Ainsi le groupe apparaît dans une étrangeté qui se développera, imperceptiblement, au long de la pièce entièrement dansée sur demi-pointes.
Tous, comme nus dans leurs maillots, éclairés par de pâles faisceaux lumineux, resteront groupés, piétinant, cependant qu’un danseur, un couple, une danseuse se détache de l’ensemble avec quelques frémissements, emportements, mécaniques et souples à la fois, statiques ou s’alignant, sautant sur la fin, bras en chandelles.
Contrairement à «OCD Love», ressenti tel un uppercut, avec une exceptionnelle intensité par Lulu, chronique de mai 2017, loin de lui faire ressentir pareilles émotions, Jakie, assurément fruit d’une pensée intense, l’a laissé à pour le moins indifférente si ce n’est déçue.
Une lassitude, un manque de réceptivité, un sentiment de déjà vu?
Assurément loin de l’ enthousiasme général.