Ce Lohengrin en est une, et de quelle envergure.
Remisez au placard vos souvenirs de « modernité ».
Oubliez Wagner.
Toute ressemblance avec le mythe arthurien est à bannir.
Seule demeure l’histoire d’un naufrage : la nuit de noces d’Elsa et de Lohengrin.
A notre perplexité des premiers instants provoquée par des dissonances très « Ecole de Vienne » du prologue ( le compositeur sicilien en revendique l’héritage) et l’apparition derrière un voile blanc baigné d’une lumière crue, de la silhouette d’un vieillard perclus travesti en mariée et se raclant la gorge tel un spectateur malséant, succédera une sidération absolue devant cette œuvre de quarante-cinq minutes qui nous tiendra de bout en bout avec une intensité bien rarement ressentie lors de soirées lyriques.
Seul en scène, Johan Leysen passe d’un rôle à un autre, courbé par les ans, le visage creusé de rides. Habillé en jeune épousée, il incarne à la fois Lohengrin et Elsa.
Dans un souffle il murmure quelques mots en italien « il cucino, il cucino » déplume son oreiller dont les duvets s’épandent au sol, feule comme un matou furieux, claque de la langue, minaude d’une voix fluette, répète le prénom d’Elsa sans fin sur une infinité de tons, compare cette « villa nuptiale à une fosse commune » crache son dégout de la mariée : « je déteste les hanches maigres », pleure en silence face contre le sol, enchaine les bruits de déglutition, les claquements de langues, chuintements divers et quintes de toux incoercibles, se lave ses pieds usés par la marche, accomplit quelque rituel magique, invoque « le cava- lier chevauchant un grand cygne lumineux » dans un rêve extatique, se déshabille au fur et à mesure, perdant son voile, enfin sa « chemise « et finit entièrement nu avant que trois infirmiers ne lui passe la camisole de force.
Ainsi entravé, anéanti, devant un mur noir, tête légèrement penchée, yeux perdu dans le vague, il entonne une douce chanson qui évoque
« Les cloches de beau dimanche, joie du linge propre, comme s’il n’avait été sali de la semaine ».
Souvent accompagné de l’orchestre, avec quelques images cadrées avec beaucoup de finesse projetées sur l’écran, dans cette excellente mise en scène sobre et intense de Jacques Osinski, les prodiges de l’acteur flamand, Johan Leysen font culminer sensations étranges, sentiments troublant, enfin émotion profonde devant la fragilité de l’être.
Epoustouflante virtuosité de son interprétation, présence phénoménale, le comédien a du génie.
Sans lui, impossible de concevoir cette performance.
Brièveté ici synonyme de force étrange, de malaise troublant.
Mémorable moment.