En octobre dernier, Lulu n’a pas caché son désaccord total face aux délirantes outrances du Polonais pour son grotesque « Don Carlos »
A l’opposé, « Le Château de Barbe Bleue » est une véritable réussite.
Ses hautes parois en cul de lampe de verre opaque fermant le plateau,
Ses lumières intermittentes balayant les soubassements en lancinants clignotements,
Ses inévitables « cellules » de verre faisant leur entrée sur scène pour symboles des fameuses portes,
Constituent sa transposition de l’effrayant et sombre château ruisselant d’humidité,
Justifiée, impressionnante, intelligente.
Opéra en un acte,
Dialogue passionné entre deux seuls protagonistes.
Face à Judith, jeune épousée terrifiée à la fois par les murs suintant une humidité semblable à des larmes et par ces portes closes dont elle veut découvrir les secrets,
Barbe Bleue cède jusqu’à la dernière qui provoquera aussi la disparition de Judith retrouvant ses trois précédentes femmes. Symboles du temps : Aurore, Midi, Soir, Judith, achevant le cycle, deviendra « Nuit ».
La sublime partition de Bartok m’a paru admirablement servie par la direction chatoyante de Ingo Metzmacher à la tête de l’orchestre de l’Opéra ;
Parfaitement rendu dans la mise en scène, miraculeusement exemptée des gesticulations chéries du metteur en scène,
Le face à face de Judith et Barbe Bleue restitue son intensité dramatique à l’affrontement sans issue de ces deux êtres perdus, « condamnés .
Repris par les mêmes interprètes qu’en 2015 le duo tragique de John Releya et Ekaterina Gubanova maintient sans faiblir toute la puissance du livret inspiré en partie du terrible conte de Charles Perrault.
Un grand moment lyrique qui vous happe et ne vous lâche plus,
Une présence des interprètes qui vous tient de bout en bout.
Sans transition, sur le dernier accord de Bartok, Barbara Hannigan fait son entrée sur scène.
Revolver à la main, moulée dans son smoking impeccable, perchée sur ses sandales à plateforme et stilettos redoutables, elle vacille jusqu’à tomber à plat ventre pour entamer son long monologue au téléphone souvent interrompu par des problèmes avec les « demoiselles des Postes » : interférences sur la ligne, coupures avec son interlocuteur viennent perturber la liaison.
Contraste saisissant après « Barbe Bleue ».
Entre gestuelles caricaturales : reptations, contorsions, déplacements à quatre pattes, convulsions imposés à la chanteuse filmée depuis les cintres, la plupart du temps, allongée face contre terre,
Et la catastrophique diction de l’interprète dans notre idiome vous contraignant à suivre, à l’exception de « chéri » ou d’«allo », la totalité du texte projetée sur les surtitres : un comble pour un opéra français,
Ainsi malmené, comme artificiel,
Le livret écrit par Cocteau n’a pas su résister au temps.
Cruelle épreuve que vient aggraver
Cette distribution absurde de Barbara Hannigan, grande artiste dont on retrouve pendant les quelques fulgurants, trop brefs passages chantés, toute la présence dramatique et la puissance de la voix,
Qu’achève le travail de Krzysztof Warlikovski ôtant jusqu’à l’invraisemblance toute authenticité à cette rupture pathétique.
Accablant constat que la musique de Poulenc ne peut sauver du désastre ;
Soirée contrastée vous disais-je….