La conclusion de ces échanges revenait à José Montalvo.
Avec Shinganè naï , ce chorégraphe ébouriffant, dont on apprécie l’humour et la vitalité débordante, nous livre la synthèse aussi inattendue qu’ euphorisante entre danses emblématiques et musiques traditionnelles , d’une part, et d’autre, hip-hop échevelés, danses débridées, vidéos d’Arthus- Bertrand, et musiques occidentales, incluant jusqu’au boléro de Ravel au final.
Véritable exploit pour des danseurs maitres de la lenteur et de la décomposition du mouvement, en quelques mois de travail avec la National Dance Company, José Montalvo est parvenu à transmettre à ces artistes technique et esprit à l’opposé de leur formation.
Dans sa présentation il déclare avoir souhaité une œuvre baroque et ludique ;
Les résultats ont dépassé notre attente, la suite des tableaux enchaine de purs moments de beauté :
Allègres et dynamiques, costumes chatoyants et sonores maniements d’une folle agilité, dès l’ouverture, les baguettes de bois résonnent d’ une force joyeuse sur les percussions
Danses aux éventails géants, agités, claqués, déployés avec grâce et énergie composent les plus esthétiques chorégraphies,
Frappe vigoureuse de tambours géants allègrement chevauchés sans pudeur par des dames, des garçons « tournant » autour, jolie expression d’affranchissement,
Danseuse en somptueux costume traditionnel, à la gestuelle ancestrale se mêlant à un corps de ballet déchainé,
Opposition des danses modernes sur rythmes accélérés exécutées par les mêmes artistes dont on découvre, projetées sur le fonds de scène, les vidéos géantes de chorégraphies rituelles,
Se succèdent pour cette première partie de « L’Age du Temps », « Shiganè naï » en coréen.
Sensible aux drames d’aujourd’hui comme dans son précédent opus, la deuxième partie évoque de façon poignante le thème de l’exil.
En file indienne, de volumineux sacs plastiques de couleurs vives à la main, les danseurs traversent en diagonale le plateau. Bustes penchés vers l’avant, leur lenteur confine à la mort. Pour illustrer la fatalité de ces situations, la projection d’Human d’Arthus Bertand : dans une lumière blême des cyclistes pédalent avec difficulté dans des sables sans fin. Pudique désespérance.
La soirée prend fin sur le Boléro de Ravel, « œuvre musicale et chorégraphique maitresse de l’histoire de la danse occidentale » comme la définit Montalvo.
Il en souhaitait une version très personnelle. Pari relevé.
En robe simple, jupe sous le genou, entourée de toute la troupe, l’ainée des danseuses, chantonnant constamment d’une voix étrange dans son idiome natal, déploie, comme l’ensemble du corps de ballet, un art très singulier alliant chaloupés et déhanchements ralentis ,pas glissés, à une gestuelle pétrie d’orientalisme le plus pur.
José Montalvo, juste nommé directeur de la Maison des Arts de Créteil, nous avait réservé, pour cette ultime spectacle en tant qu’artiste associé à Chaillot, une soirée à son image inaltérable : « ludique, dynamique et festive » pour le citer encore.
Débordant d’inventivité, tout en conservant son style si personnel, cette rencontre coréenne lui a ouvert de nouvelles voies qu’il a su découvrir et pleinement faire partager.
Le bonheur.