Commandées par le directeur des Théâtres Impériaux de Russie, les deux œuvres ont été composées pour être présentées au cours de la même soirée.
Créées en 1892 au Théâtre Mariinski, en présence de la famille impériale, elles n’ont plus jamais été représentées ensemble.
Dmitri Tcherniakov vient d’en prendre l’initiative.
En mémoire ses précédents exploits, la circonspection aurait été de mise :
Son Don Juan d’Aix ( 2010) dans lequel tous les personnages se retrouvent parents, Zerline, la fille de Donna Anna, ou Leporello un ami de passage impuissant face aux assauts de Donna Anna, puis, en 2015, l’interdiction par les ayants-droits du « Dialogue des Carmélites » de Poulenc et Bernanos,
Illustrent la marge de liberté que s’octroie le metteur en scène.
Iolanta, opéra en un acte, est une œuvre au texte bouleversant.
Comment ne pas ressentir sous ce personnage tenu « en marge », dans un château loin du monde, par la volonté d’un père qui fait garder secret son « handicap »,
Une évocation indirecte des propres blessures du compositeur.
Deux ans avant sa mort, alors qu’il est traverse déjà une crise profonde, il apprend, loin de Russie, la veille de son embarquement du Havre pour l’Amérique, la disparition d’Alexandra, sa sœur bien-aimée.
Cette œuvre symbolise le passage de l’obscurité à la lumière
Du mensonge à la vérité,
Avec ces très belles phrases prononcées par Vaudemont qui espère : « Eveiller à la lumière les ténèbres de ses blessures »
Comme il annonce : « Le flambeau de la vérité brille dans ton cœur » après qu’elle ait recouvré la vue.
« La présence de Dieu est infinie » se réjouira le chœur final, dans un indéniable élan mystique.
Rien de révolutionnaire dans la mise en scène de l’iconoclaste.
Tout juste une transposition de la cour du Roi René aux confins d’une Russie fin de siècle, dans un salon cossu, aux teintes ivoire, aux fauteuils moelleux et accueillants, messieurs en pelisses et toques de fourrures, nurses en voiles et tabliers immaculés, et Iolanta, coiffée d’anglaises bouclées
Pas davantage impressionnée par les interprètes, leur voix, ni leur jeu, en dépit de la présence de Sonya Yoncheva dans le rôle- titre. Seul le jeune Arnold Rutkowski campe un Vandémont émouvant.
Comme une distribution à l’économie.
La surprise intervient.
Cet opéra en un acte s’interrompt soudain pour trente minutes d’entre-acte.
A la reprise, l’ouverture de « Casse-Noisette » s’enchaine aussitôt la dernière note jouée.
Le décor s’élargit découvrant un vaste salon de bourgeois années cinquante.
Nous voilà non plus à Noël, mais à l’anniversaire de Marie, déjà présente, silencieuse, dans Iolanta.
Dmitri Tcherniakoc s’est adressé à trois chorégraphes différents pour le ballet.
La fête est l’œuvre d’Arthur Pita.
Dans d’affreux costumes des années cinquante, aux couleurs maronnasses et jaunâtres, tous s’agitent furieusement.
Les cris fusent, les talons claquent, galops endiablés, danses folkloriques s’enchainent. Mouvements désarticulés, saccadés, accélérés, la joyeuse assemblée se déchaine.
Ruades et gestes de self-défense multipliés composent un ensemble de mauvaise comédie musicale américaine, épileptique et démodée.
Gâchis pour le corps de ballet très à son aise dans la performance ;
Dénué de force dramatique pour l’action qui voit réprouvé par l’assistance l’amour de Marie pour son prince charmant.
Un tonnerre apocalyptique clôt ces « réjouissances »
Sous une pluie de « débris » dans un champ de décombres, pris dans une terrible tempête de neige, derrière une voile noir, nos jeunes héros entament un court pas de deux aux portées étonnantes.
Marion Barbeau et Stéphane Bullion s’y distinguent.
Une foule en haillons couleur cendres les rejoint bientôt.
Les corps se trainent dans leur guenilles, tentent de se dresser, pitoyables.
« La Nuit » imaginée par Edouard Lock : digne des plus belles fresques réalistes socialistes soviétiques.
Ces survivants, rappellent les « zeks » : prisonniers des camps. Ils prennent la suite des cow-boy et de leur cavalière.
Après Broadway, la Sibérie,
Un changement de latitude finement imaginé !
Lassée de ces extrapolations oiseuses,
Accablée d’ennui et navrée par l’indigence chorégraphique de deux premiers collaborateurs de ce nouveau « Casse-Noisette »,
Notre patience à bout, le deuxième entre-acte fut notre salut.
Aux plus endurants l’honneur de vous raconter le final de Sidi Larbi Cherkaoui.
Sacrifié, sans doute :
Trois minutes de plaisir pour trois heures de spectacle,
Déjà trop cher payé.
Une soirée lamentable.
Une confirmation supplémentaire de ma précédente conclusion :
Sans fondement, injustifiées trop souvent ces relectures.