Transposition déjà initiée par la « Carmen Jones » de Rogers et Hammerstein en 1943, l’idée reprise par Christopher Renshaw ne trahit nullement le plus célèbre des opéras.
Résultat probant :
Fruit d’une parfaite connaissance de l’univers sud-américain et d’un talent de mise en scène touchant au théâtre comme à l’opéra et à la comédie musicale,
Joué, chanté et dansé avec engagement par une troupe homogène et judicieusement constituée par la réunion d’interprètes « authentiques »
Sur les grands airs repris par Alex Lacamoire, d’origine cubaine et auteur à succès de nombreux « lyrics » de comédies musicales à Broadway (tout récemment, « In the Heigths » a été donné plus de mille fois à New-York)
Dans un unique très beau décor à transformation de Tom Piper qui signe également des costumes mieux que réussis.
L’action se déroule à la fin de la dictature de Batista menacée par l’imminente victoire de la révolution castriste.
Près de Santiago de Cuba, telle une devineresse, devant la manufacture de cigares, la Signora, « santeria » ( prêtresse vaudou) tout de blanc vêtue entourée de trois enfants, annonce les bouleversements qui vont métamorphoser l’ile.
A partir de là, l’intrigue se déroulera d’après le même fil conducteur qui mène au dénouement fatal imaginé par Mérimée.
Devant les murs lépreux d’une vieille demeure coloniale abandonnée, au magnifique escalier et balcon de fer forgé, se succéderont toutes les scènes légendaires de plus populaire des opéras.
Quelques modifications aussi justes qu’astucieuses permettront de métamorphoser le lieu en place de village comme en Cabaret de la Havane, en taverne populaire comme en sombre cachette, en ring de boxe comme en ruelle de la Havane , en gare ou en hôtel de luxe avec seulement quelques cloisons mobiles, quelque accessoires prestement déplacés, ou une simple corde tendue aux angles par quatre danseurs pour le match de boxe.
Arrogante, indomptable, superbe et fatale, Luna Manzanares a le coup d’éventail, comme le coup de rein, aussi définitif qu’un jugement sans appel.
Silhouette menue et déliée, nez fin, lèvres incarnat, sourire ravageur, yeux de braise, jouant de son opulente chevelure jais, sans pour autant abuser de ses déhanchements, incontestable d’autorité et de présence, cette Carmen s’impose, belle, brulante, libre, funeste aux autres comme à elle, par son refus catégorique à toute sujétion.
Joel Prieto est José, ici un pauvre paysan entré à l’armée pour toucher une maigre solde. Détourné du droit chemin par l’ensorceleuse, sa liaison le conduira à trahir et renoncer à tout pour la belle.
Sensible et vulnérable, l’acteur a la fragilité voulue pour ce rôle. Sans réelle prestance ni force virile débordante, il séduit par sa douceur et les scrupules qui l’assaillent, vaincus par Carmen.
Objet de son pouvoir séducteur puis de son pouvoir destructeur, l’assassinat de Carmen sera la seule réponse à son insurmontable douleur, fatal refus de se voir trahi.
Rauel Camarinha est Marilu , la Michaela de Bizet. Elle nous épargne avec un rare bonheur la mièvrerie trop souvent affichée de son personnage.
Jolie, frêle et modeste, la sincérité de ses prières alliée à la générosité de ses sentiments s’expriment avec une réelle émotion dans cette interprétation.
Imposante stature de colosse, Escamillo, devenu le boxeur El Nino, est tout aussi convaincant dans son anti-américanisme que dans son rôle de champion conquérant toujours vainqueur.
Viennent compléter la distribution une pléiade de comédien tous à leur place sans démériter.
En première partie, le spectacle se caractérise essentiellement par la qualité de jeu des différents acteurs, celle des passages dialogués, bien réglés et joliment mis en scène.
La partition musicale, reprenant tous les grands airs de Bizet sur le mode latino, souffre d’une sono mal réglée, et les numéros dansés ne se distinguent pas par leurs prouesses chorégraphiques.
Dans un crescendo maitrisé, en deuxième partie, cha-cha, mambo, rumba, danzon, habanera permettent à la troupe d’illustrer avec un entrain communicatif tout son savoir original aussi bien que dans les numéros de revue de casino, boys et girls scintillants de paillettes s’illustrent, en dépit de moyens limités, dans un passage digne d’une « revue ».
Suivant la même trame dramatique, l’intrigue parvient à son dénouement tragique avec autant d’intensité.
En prime, l’ensemble de la troupe gratifiera le public d’un ultime numéro scandé par le son des semelles de sandales, un zapateado des Amériques, aussi envoutant qu’entrainant.
Les oreilles chatouilleuses pourront dénoncer certaines faiblesses sonores,
Les exégètes chorégraphes, les inégalités des numéros dansés,
La métèque que je suis y a trouvé son bonheur
Elle ne souhaite que vous le faire découvrir et partager
Pour une soirée vraiment tropicale, nostalgique, comme le « Buena Vista Social Club ».