En direct de Belle-Ile en Mer
Cinglez vers Belle-Ile.
Sans même évoquer Salzbourg, Bayreuth, ou Pesarro, à eux seuls les festivals d'Aix-en-Provence et df'Orange alimentent abondamment les chroniques hexagonales et parviennent à mobiliser les foules estivales.
Mon seul regret: n'avoir pu assister à la deuxième représentation de Turandot, dont la retransmission en direct à la télévision donnait une vague idée de cette spectaculaire mise en scène aux luxueux décors et costumes en parfait adéquation avec le sujet de l'Opéra et le cadre du théâtre antique.
Désertons le sud de la France.
Je vous tranporte à Belle-Ile.
En la citadelle de Vauban, dominant le port de Palais de son austère et majestueuse architecture militaire, se déroule le Festival Lyrique qui fête son quinzième anniversaire cette année.
Loin du battage médiatique qui caractérise les autres manifestations, ne bénéficiant que de modestes subventions publiques et d'un mécénat qui va "diminuendo", géré par un groupe de bénévoles qui relèvent du sacerdoce, il est dirigé et animé par ses deux initiateurs: Richard Cowan et Philip Walsh, musiciens rivalisant d'audace et d'exigence.
Oubliez derechef les effets de mode et relectures obligées.
Foin de vidéos, transpositions contemporaines, appareils sanitaires, uniformes équivoques.
Place au drame, rien que le drame, au chant admirable, à l'orchestration aussi subtile que puissante en dépit d'un orchestre réduit à quinze musiciens, au lieu des quarante qu'éxige la partition.
Sur un plateau de dimension restreinte, avec un orchestre contraint de jouer à l'arrière des chanteurs, Richard Cowan parvient à signer une mise en scène d'une justesse étonnante.
Evitant toute grandiloquence, déjouant les pièges du pathos, de l'étroitesse même de la scène il tire profit pour mieux concentrer l'action, renforcer l'intensité dramatique, servie par d'admirables interprètes.
Michael Austin, Othello de référence, réunit la présence, la puissance, l'autorité, la violence et la vulnérabilité de ce rôle écrasant. Artiste afro-américain, totalement convaincant, sa voix et sa diction sont irréprochables, son jeu excellent.
Les mêmes qualificatifs s'adressent à Jennifer Black, grande soprane, habituée du Metropolitan, dont le talent répond parfaitement à celui de son partenaire. Elle est l'innocente victime injustement sacrifiée. Son interprétation de la cantilène est tout de désespoir résigné et d'intacte pureté.
Venant aussi du Metropolitan, Keith Harris complète la distribution avec un Iago véritablement démoniaque et redoutable, conservant une froideur qui ne fait que renforcer le côté maléfique du personnage: glaçant dans sa détermination, il conduit les héros à leur perte avec le détachement d'un stratège implacable et dévastateur.
Impossible de ne pas mentionner aussi la qualité des choeurs comme celle des autres interprètes.
Trop rares ces soirées d'opéra, mais si envoûtantes, prenantes, bouleversantes, quand elle parviennent, comme ici, à réunir miraculeusement toutes les qualités requises:
la musique au sommet, le temps aboli, la progression dramatique inexorable.
Dans la salle de la citadelle, admirable écrin, après trois heures d'écoute sans l'amorce d'un toussotement, le public conquis fait résonner un tonnerre d'applaudissements au tomber de rideau.
Cinglez vers Belle-Ile vous dis-je.
L'excellence est insulaire.