Voici le centenaire de Vogue -Paris célébré à juste titre à Galliéra.
Un kaléidoscope irrésistible pour tout amateur éclairé qui y retrouve avec bonheur tant d’images iconiques;
Pour les novices, un irremplaçable catalogue de l’évolution du vêtement sur ces cent années.
En parfaite illustration, à l’entrée de l’exposition, se déploie un paravent aux feuillets entièrement tapissés des toutes les couvertures, de leur origine à nos jours.
Avec Michel de Brunhoff, entouré de ses collaborateurs Cosette et Lucien Vogel et de la duchesse d’Ayen,
Naît un magazine, novateur, mondain et artistique dès les premiers mois de sa parution.
«Plongée» immédiate dans les années folles.
Un studio de photos est créé, il sera successivement dirigé par Wladimir Rebhinderer et Hoyningen Huene.
Le style est déjà affirmé: chic et d’avant-garde.
Femmes du monde ou mannequins, défilent devant l’objectif d’Adolphe Meyer.
Novatrices, sobres et graphiques, dominent les photos de Horst.
Elles célèbrent la femme sportive, au volant de sa voiture, à la plage, aux sports d’hiver. Travaillant en extérieur, Horst maîtrise aussi parfaitement l’illusion avec, entre autres, sa sculpturale plongeuse photographiée sur le toit de la terrasse des Champs Elysées. Spectaculaire encore, son cliché «op» et dépouillé d’un maillot sur son drap de plage aux dessins géométriques, pris en contre-plongée. N’en émergent que les jambes du modèle.
Horst, un véritable «créateur».
Longtemps, seuls les croquis occupaient les pages des revues de modes.
Ils continueront à y trouver place jusqu’à nos jours.
Grand illustrateur «art-déco» de «La Gazette du Bon Goût» George Lepape, découvert par Paul Poiret dès 1911, saura séduire les Editions Condé Nast. Elles rachèteront la très élégante revue à Nicolas Vogel son créateur. Deux nouvelles et précieuses collaboration pour Vogue-Paris.
Puis en 1935 Christian Bérard, emblématique illustrateur des années trente-quarante, fait son entrée au magazine.
Ses croquis des créations «surréalistes»de Schiaparelli comme celles inspirées de l’Antique d’Alix symbolisent définitivement l’avant- guerre, nadir de la Haute-Couture.
Citons encore Eric moins célèbre en France, influencé par la nouvelle Ecole de Paris. La direction de New-York le considère comme le maître du dessin de mode.
Vogue Paris se veut aussi le reflet de l’effervescence mondaine et artistique de la capitale.
La Duchesse d’Ayen en sera la caution.
En témoignent des articles consacrés aux mécènes, telles Marie-Laure de Noailles ou, photographiée par Man Ray, Nancy Cunard posant à coté de sa sculpture par Brancusi.
Colette, notre grand écrivain, y fut également une chroniqueuse de mode à la plume acérée.
Arrive la guerre.
Après la sortie de quelques numéros, Michel de Bruhnoff, d’une fidélité irréprochable au journal et à la Haute Couture Française, suspend la parution dès 194O.
Sonne l’heure de la Libération.
Un numéro spécial la célèbre.
Malgré les nombreuses difficultés matérielles, le magazine est à la hauteur de l’évènement. En couverture, inspirée de l’emblème de la ville de Paris, «vogue» une splendide caravelle signée Christian Bérard.
Nouvelle époque, nouveau style.
Christian Dior triomphe avec son New Look, à l’image d’une femme redevenue plus féminine que jamais. Epaules menues, taille de guêpe, jupe rallongée, entravée ou à l’ampleur défiant la pénurie de tissus , caractérisent ces années d’après-guerre.
Légendaire, le fameux tailleur Bar est exposé en vitrine, accompagné de sa photo dans le magazine.
Paris, ses ruelles, ses places, ses marchandes de quatre saison servent de décor pour les photos.
De nouveaux mannequins, comme Bettina, incarnent cette femme «objet» tellement élégante encore.
Des années immortalisées par autre génération de photographes, comme Irvin Penn, Henry Clark.
Robert Doisneau, Sabine Weiss, à contre-emploi,( se souvenir de sa rétrospective en Arles cet été) réalisent les reportages des grands bals dont le magazine ne manque pas de se faire l’écho.
Voulues par Michel de Brunhoff, les pages culturelles prennent de l’importance. Elles se développeront encore sous l’impulsion d’Edmonde de Charleroux entrée à la rédaction en 1947.
Formant pour la première fois une équipe féminine à la direction du journal, Edmonde de Charleroux, assistée de Françoise de Langlade, succéderont à Michel de Brunhoff parti à la retraite en 1954.
La culture y gagnera en importance. Visant un nouveau lectorat, bousculant la ligne éditoriale, l’ensemble des nouvelles tendances socio-culturelles y seront évoquées, mêlant mode vie quotidienne, sujet de fond.
Ecrivains importants, de toute tendance, tels Mauriac ou Genet, signeront les chroniques littéraires.
N’oublions pas la mode.
En pleine mutation, dès la fin des années cinquante avec l’essor du Prêt-à-porter, une jeune génération de couturiers et stylistes multiplie les audaces, révolutionne les codes:
Yves Saint Laurent, Courrèges, Cardin, ne pourront être davantage soutenus et mieux valorisés par le magazine sous les objectifs subversifs, mais encore élégants, des Guy Bourdin, Helmut Newton, William Klein.
Catherine Deneuve demeurera l’irremplaçable égérie d’Yves Saint Laurent. Pour Vogue elle fera vingt deux fois la couverture.
La mutine Twiggy personnalise la muse de tous les photographes. A Paris, comme à Londres, les mannequins de couleurs sont pleinement reconnues. Cependant à New-York, en 1966, on refuse à Edmonde de Charleroux une couverture avec Luna Donyale pour modèle.
Malgré l’importance grandissante de la photo, s’impose le coup de crayon du dessinateur René Gruau au trait incisif, captant l’esprit du temps ( il restera le dessinateur attitré de la maison Dior).
De 1968 à 1986, Vogue connaîtra véritablement son Age d’Or avec Francine Crescent, directrice de rédaction pour la mode, et Françoise Mhort, portant le même titre, à la beauté.
En ces années de «libération» post- soixantehuitarde, s’affirme magistralement le caractère subversif, sulfureux, érotique des Helmut Newton, Guy Bourdin, Jeanlou Sieff, les clichés faussement néo-romantique de Sarah Moon, ou ceux évoquant déjà les trans-genre d’Alexis Waldeck.
Cette complète rupture avec les conventions nous font découvrir les femmes androgynes dans des poses suggestives d’Helmut Newton ou le coté transgressif de Guy Bourdin, dans la rubrique beauté, particulièrement évidente dans la photo d’un tube de rouge à lèvres dressé au-dessus d’un visage de femme aux lèvres entre-ouvertes.
Si les allusions sont limpides,
La vulgarité est bannie.
Règne la sophistication, la recherche, l’inventivité encore synonymes d’un porno chic.
Vogue règne en maître du goût, de l’élégance, d’une distinction affranchie avec des créateurs encore soucieux d’une forme d‘élégance à la fois contemporaine et...«embellissante».
Guettée, attendue chaque sortie du magazine créait l’évènement.
Suivent les années Colombe Pringle, Irène Silvagni, Joan Juliet Buck, recrutées pour la première fois en dehors de la rédaction.
Avec la mondialisation et dans un soucis de modernisation, elles transformeront la formule, changent de format et de contenu. La mode, dans un monde globalisé, devient partie intégrante d’un «environnement social, créatif, culturel» pour citer le cartel de l’exposition.
Une métamorphose qui perdure jusqu’à aujourd’hui, reflet des transformations de la mode.
La haute couture n’est plus qu’un faire-valoir des marques, le conservatoire d’antiques compétences.
Chez les stylistes, la tendance dominante impose la «déconstruction», au mieux la réinterprétation dénaturée de critères anciens.
Seul Karl Lagerfeld, est parvenu avec génie à «dépoussiérer» le légendaire style Chanel.
Un nouveau souffle que Mademoiselle n’aurait pas renié.
La Femme-objet disparue, grâce, féminité, élégance n’ont plus cours.
Deux tendances s’imposent désormais:
Place aux «supermodels», telle Kate Moss, au corps triomphant, au trash, à la provocation crue dont Testino est le plus représentatif des photographes ;
Et au diktat des Margiella, Comme des Garçons et autres créateurs anversois dont les modèles improbables, «expérimentaux» ne laissent plus guère place à la célébration de la séduction, Alaïa excepté.
Un tout autre magazine.
Concurrencé par de nombreuses parutions plus récentes, se pose la question de l’avenir.
Ces dernières années, impossible de retrouver l’«esprit Vogue» dans les numéros.
Celui du centenaire ne vient que confirmer ce regrettable constat.