Savoir, Goût, Culture en partage.
Remercions la Chancellerie des Universités de Paris.
Nous lui devons l’initiative de cette exposition.
Elle nous révèle une personnalité hors du commun, une femme qu’il n’est que justice de mettre en lumière dans un Musée qu’on ne finit pas de découvrir.
D’origine modeste, née Peyrat, élevée par son père, républicain et anti-clérical, journaliste, puis député et sénateur de la Troisième République, elle rencontrera son futur époux, le Marquis Arconati Visconti à l’Ecole nationale des chartres. Pour se marier, il leur faudra attendre le décès du père du Marquis en 1873.
Devenue veuve prématurément en 1876, cette femme avisée ne se remarie pas afin de pouvoir disposer, en toute liberté, de son immense fortune.
Ses qualités intellectuelles, son savoir éclairé motivés par ses convictions politiques, permettront aux plus grands musées nationaux: le Louvre, les Arts Décoratifs, les Beaux Arts de Lyon, de bénéficier de ses innombrables dons.
Il en sera de même pour les lieux d’enseignement supérieur : Sorbonne, Ecole des chartres, Collège de France, bibliothèques, verront se créer bourses et chaires, ou s’élever de nouveaux bâtiments grâce à sa générosité.
Socialiste, dreyfusarde de la première heure, dans son salon de la rue Barbet -de -Jouy, elle reçoit des hommes politiques tel Gambetta, Jaurès, des intellectuels, professeurs au Collège de France ou à l’Ecole des Hautes Etudes.
Conservateurs et collectionneurs ont aussi leur jour.
Ainsi elle entretiendra jusqu’à sa mort des «liens privilégiés» avec Raoul Duseigneur, son deuxième amour, qui la conseillera pour l’ensemble de ses acquisitions: mobilier, tableaux, objets d’art etc.
En hommage à son mentor, illustrant leur goût partagé pour le médiéval, une chambre «Period room» ouvre la visite avec son linteau sculpté, ses vitraux d’époque, ses boiseries.
Puis, imitant les dispositions du Musée des Monuments Historiques pour l’exposition « Mobilier d’Architecte »,
Il nous faudra parcourir le Musée pour découvrir, à chaque étage, désignés par un cartel rose vif, disséminés dans différentes salles, exposés parmi d’autres merveilles, les « legs » réunis pour cette exposition.
Un superbe tondo de Desiderio de Settimagnano du XVe, venu du Louvre, précède, les céramiques islamiques et hispano -mauresque, les majoliques dans les salles Rennaissance.
La mode est au «Grand Tour»: plus avant, parmi un ensemble remarquable de mobilier démontable, pour répondre à un vœu du conservateur d’alors, la Marquise a offert, serti dans son coffret en maroquin, un ravissant déjeuner solitaire en porcelaine de Meissen, fin XVIIIe.
XVIIIe toujours, sorties des réserves, une collection de tabatières. Particulièrement rare, celle marqueterie de pierres dures signée Neuber.
De la même époque un splendide ensemble de tapisseries de Bruxelles, d’après Teniers II, appellées «ténières».
Dans une salle consacrée aux «chinoiseries», exceptionnel par sa petite taille, un précieux paravent à douze feuilles en laque de Coromandel, à fond noir, se détache gracieusement devant un autre exemple de grande dimension sur fond rouge; de très beaux pots chinois complètent l’ensemble.
Au milieu d’une vitrine consacrée aux objets de porcelaine on découvre deux minuscules coupelles italiennes au ravissant décor végétal.
En nous rapprochant du style 1900, toujours au chapitre des arts de la table, particulièrement séduisants, deux services en Creil: les assiettes «Fleurs» et «Ruban» de Braquemont, alignent leurs motifs tous différents.
L’ orfèvrerie de son époque est ici représentée par un précieux plateau de Clément Massier en faïence à lustre métallique sur monture en métal rappelant le goût de la Marquise pour les pièces hispano-mauresque.
Comme il était d’usage à l’époque,le mélange d’oeuvres originales et de copies, largement pratiqué, s’illustre dans deux monumentales sculptures d’après Cellini en provenance de son château de Gaasbeek en Belgique.
Aussi ce service d’orfèvrerie somptueux signé Bossard de Lucerne, très célèbre en son temps, en style néo-rennaissance inspiré par un modèle d’époque de Basilius Amerbach.
Place aux bijoux enfin.
Ayant le goût du travestissement, elle commande à Lalique ses premières parures historicisantes, conformes à son attirance pour le Moyen Age et la Rennaissance.
Femme de son temps, elle porta un collier de chien «art nouveau» créé par Lucien Falize. On l’admire exposé sous le nouvel éclairage de la salle des Bijoux avec d’autres merveilles essentiellement signées des mêmes créateurs.
Plus intime, émouvant, symbole de ses attachements indéfectibles, son médaillon d’émail noir aux initiales du Marquis en brillants. A l’intérieur, une photographie: Raoul Duseigneur.
Sur sa tombe, cette femme de culture fit graver les vers de Villon:
«Deux étions, un seul coeur avions».
Elle meurt dans les convictions philosophiques que lui a léguées son père.
D’une lucidité stoïcienne, elle note, laconique, sur son agenda, la veille de sa disparition:
«La mort arrive».
Dans l’hommage qui lui est rendu un an plus tard, elle sera qualifiée de:
« Bienfaitrice des Arts et des Lettres».
Cette exposition ne fait que rendre justice à une femme en tout point remarquable. Indépendante, d’une intelligence supérieure, d’un goût parfait, ayant mis toute son immense fortune au service de l’art, du progrès et de la connaissance.
Et un parcours qui nous révèle encore, pour notre plus grand plaisir, de nombreuses salles renfermant des trésors trop souvent négligées du visiteur pressé.