Elle se qualifiait de «Couturière inspirée».
Elle déclarait:
«Travailler avec des artistes tels Bébé Bérard, Jean Cocteau, Salvador Dali, Van Dongen, avec des photographes comme Hoyningen-Huene, Horst,Man Ray avait quelquechose d’excitant»
Cette exposition en constitue la parfaite illustration.
Si de très nombreuses pièces étaient déjà exposées en 2004 dans la précédente rétrospective venue de Museum of Art de Philadelphie,
ce nouveau parcours, ponctué d’une multitude d’ objets, tableaux, clichés, accessoires, met en exergue le côté révolutionnaire et créatif de l’univers artistique foisonnant dont Schiaparelli s’est toujours entourée, réunissant autour d’elle, avec une totale liberté, toute l’avant-garde.
Ses modèles en sont le reflet.
Toujours surprenants, les accessoires épinglés comme des insectes dans les vitrines de la première salle: gants griffus d’ongles dorés, bras sans corps couverts par d’ extravagantes manches, mains aux doigts recouverts d’écailles or.
Iconique, au centre de la salle sous un globe de verre, trône la célèbre cape rose shocking, «Phoebus».
Dessinée par Bérard, stylisée par le brodeur Lesage, sur son dos scintille une tête de méduse déployant ses rayons solaires.
Yves Saint Laurent s’en inspirera plus tard.
6387 croquis réalisés par les dessinatrices de la maison lors de la présentation des collections dans les salons, tapissent entièrement les murs d’une deuxième salle.
Rehaussés de couleurs, ils restituent fidèlement le style de Schiaparelli:
très moderne, avec cet ensemble pantalon rayé rouge lien coulissé à la taille, veste cardigan rouge uni, débardeur blanc,
inspiré par le surréalisme, telle la fameuse robe longue blanche à la jupe brodée d’un énorme homard corail vif,
et souvent virtuose comme cette longue robe du soir sur laquelle s’enroule un gracieux volant posé en diagonale depuis l’épaule pour finir en quille drapée dans le bas du dos.
Les robes de Paul Poiret rappellent le soutien que lui apporta ce couturier visionnaire déjà ouvert aux milieux artistiques.
Les boutons en porcelaine du peintre Maurice de Vlaminck, les portraits en laques sur soie de Dunand, la veste portée par Nush Eluard sur le tableau de Picasso, l’extraordinaire veste reproduisant un dessin offert par Cocteau à «La plus excentrique de tous les créateurs»,
témoignent de la richesse et de la diversité des artistes ayant participé au processus de création de la couturière.
Au delà des vêtements, l’omniprésence des artistes s’étendra, sans exclusives, à toutes les activités de la maison.
Pour employer la définition aujourd’hui galvaudée, telle sera son «A.D.N.»
Elsa Triolet, Meret Oppenheim, Alberto Giacomemetti et Jean Schlumberger, créeront les bijoux, sans oublier Jean Clément,
Christian Bérard, les illustrations de presse, Man Ray les photos, Vertès les images de presse, Jean-Michel Frank décorera son appartement comme ses salons de couture.
La richesse des objets, photos, affiches, éléments décoratifs réunis ici leur rend un véritable hommage. Cela nous permet des «découvertes» comme ce vase «à cornes» de Giacometti, les hautes portes en marqueterie de paille de Jean-Michel Franck, un paravent de Vertès, ou de mesurer l’audace surréaliste de ces chapeaux-chaussures, talons dressés, signés Dali.
S’inspirant de leur aînée, présentés en parallèle avec ceux de Schiaparelli, de nombreux modèles de nos plus brillants couturiers s’inscrivent explicitement dans sa lignée: robe papillon d’Alaïa, petite robe au dos strié de découpes de Jean-Paul Gaultier, sans oublier l’actuel créateur de la maison Schiaprelli, Daniel Roseberry, ni Yves Saint Laurent cité plus haut.
Eblouissante section consacrée à l’art de la broderie.
La complicité avec Lesage lui permettra d’orner de motifs étourdissants de beauté et de virtuosité ses modèles du soir, capes, vestes, robes longues. Pampres, feuillages, filets arachnéens retenant des coquillages, motifs XVIIIe exécutés au point couché, passé, lancé, au fil d’or, agrémentés de sequins, de cabochons, de lames d’or, de paillettes, ou perles soufflées.
Originalité, raffinement, et maîtrise forcent l’admiration.
Réunis dans la Cage aux parfums, on est encore surpris par les multiples fragrances exposées dans leur emballage d’origine. Jean-Michel Frank pour «Salut» flacon trapézoïdal et boite de liège, Salvador Dali pour «Le Roi Soleil» flacon en cristal de roche dans sa coquille en métal doré, Leonor Fini pour «Shocking», plus grand succès de la maison, dans son flacon en buste de femme inspiré des formes opulentes de Mae West. Citons aussi «Succès Fou» en forme de coeur de porcelaine nervurée rehaussée d’or par Michel de Brunhoff. Rappelons pour mémoire «Zut», ou «Snuff», ( non présenté ici) un parfum pour homme, flacon en forme de pipe dans sa fausse boite à cigares. Audacieuses dénominations non dénuées d’humour.
Pour l’ouverture de ses nouveaux salons Place Vendôme, un imprimé-puzzle reproduisant les coupures de presse relatent le succès de l’évènement et souligne le sens de la communication de Schiaparelli, toujours en avance sur son temps.
Sur le thème du Cirque, la collection de 1938, je cite Schiaparelli:«fut la plus tumultueuse, la plus audacieuse». L’irruption de clowns, lâchés en sarabande dans les salons enchantèrent les invités. Brodés, peints ou imprimés, acrobates, trapézistes ornent les vêtements. «Immortalisés» par Helena Rubinstein sur une photo de Boris Lipnizki, des éléphants brodés sur un boléro de satin brillant par Lesage. A la fois inspiré du numéro de «l’homme squelette» et d’un dessin de Dali au Salon International du Surréalisme, citons encore cette originale robe du soir brodée d’un squelette osseux.
On oserait qualifier de«plus convenus» les modèles de la collection Comedia dell’Arte du Printemps-Eté 1939. Longue capes à losanges incrustés comme sur le costume d’Arlequin, tristes Pierrot, témoignent du goût du travestissement et d’un morne éclat avant la conflagration mondiale.
La précédente collection Automne-Hiver 1938-39, célèbre de façon éclatante les Signes du Zodiaque révélés par son oncle astronome. Il compara ses grains de beauté à la Grande Ourse.
Elle en fit son emblème.
Constellations, planètes, étoiles se déclinent en sublimes motifs célestes brimllent d’un éclat exceptionnel sur les velours et les satins.
Véritable apothéose de cette fin de parcours.
Une ultime salle réunit les modèles de la collection automne-hiver 2022-2023 de Daniel Roseberry:
Stupéfiantes architectures, sculpturales constructions,
preuves d’un remarquable, inimitable savoir-faire haute couture.
Véritablement spectaculaire. A l’extravagance succède l’outrance.
Indétrônable Schiaparelli.