Demeure incontournable.
Devenue annuelle mais en conservant la même dénomination, leur image de marque,
L’exposition demeure un rendez-vous attendu,
Une promenade d’esthètes qui vous conduit des Arts Premiers aux créations contemporaines,
Dans la noble section des Arts Décoratifs du XVIIIe chez François Léage les boiseries ornées d’instruments de musique, patinées d’un indéfinissable vieil or, probablement en provenance du salon de musique de Madame de Pompadour, jouxtent un autre salon dont les murs sont ornés de Singeries sur le modèle de celles de Jean-Baptiste Huet. Cadres exquis pour découvrir deux simplissimes étagères à gradins d’encoignure provenant de la garde- robe de Marie-Antoinette, une table-écritoire de Lacroix précieusement marquetée, un serre-bijou coffret de voyage d’Oeben qui contient même un premier tiroir à éventails, ainsi qu’une paire d’encoignures en laque de Coromandel. Citons encore cette pendule en biscuit de Locre au feuillage si délicatement ouvragé, et celle d’Osmond au double cadran tournant, chiffres romains et arabes superposés, cerclant un vase posé sur une colonne tronquée d’où monte un serpent de bronze ciselé dont la langue indique l’heure.
Chez Gilles Linissier un bureau-dos d’âne, signé Péridier, présente une marqueterie polychrome particulièrement riche, ornée d’instruments de musique et de fleurs comparables, chez Röbbig-München, à l’impressionnante et très précieuse table d’architecte à vérins de Rooentgen qui nous surprend parmi les plus belles collections de porcelaines de Saxe ou Meissen, spécialité de ces exposants: personnages, animaux, vases rivalisent de finesse. Sur la table dressée, un service fleuri, royal cadeau de Frédéric de Prusse, a ma préférence.
Assagi, Steinitz présente toutefois sa table de Lièvre, au style surchargé du XIXe, dans une pièce entourée de boiserie Art-Déco surmontée d’une frise antiquisante imitant le bronze. Une commode de collectionneur, de Pierre Garnier, en acajou voit ses premiers tiroirs ornés de poignées en forme de serpent dans le gout à la grecque alors en vogue, le bleu d’une commode de Dubois surprend davantage que le beau bureau plat laqué. Dans une deuxième pièce d’exposition, l’ensemble de boiseries à colonnes doriques et arcades patinées bleu et blanc cérusés, créent encore un imposant décor.
Exilé en bout d’allée, le versaillais Pellat de Villedon possède cependant le plus délicieux vide-poche marqueté de bois de rose et violette agrémenté d’un écran de soie escamotable ainsi qu’un étonnant secrétaire à écrire debout aux multiples et ingénieux mécanismes attribué à Riesener.
Modeste par ses proportions, le stand de Perrin propose un salon composé de deux petits canapés et de deux fauteuils en acajou et cannage de Moreau stupéfiants de modernité et de sobriété pour un ensemble XVIIIe. Au mur, le lavis de Fragonard inspiré des Jardins de la Villa D’este et la toile d’Hubert Robert ont aussi retenu mon attention.
Toujours à la Biennale, la Galerie Chevalier expose cette année un superbe ensemble de tapisseries représentant les Chasses de Maximilien. Commande de Colbert, « tissées à or », superbe, rarissime.
Coté Haute Epoque, l’anglais Mullany, présente outre ses sculptures de Vierge à l’Enfant un relief en albâtre « Adoration des Mages » du XVe à la composition particulièrement audacieuse tout en perspectives écrasées. Un petit Corneille de Lyon représente un beau portrait de jeune aristocrate, la pièce maitresse restant pour moi un Christ en châtaigner du XIIIe siècle espagnol d’un tragique poignant.
Peu représentée, l’édition ancienne. Chez Camille Sourget, quelle émotion devant la première édition des gravures des « Proverbes » de Goya jouxtant la deuxième édition de « L’Art de la Tauromachie », et quelle séduction devant l’Herbier de Weinmann datant du XVIIIe siècle, aux coloris si frais. Citons aussi un rare psautier illustré, incunable cistercien en provenance du monastère de Zima, et plus légères, présentées dans une même vitrine, une collection de charmantes reliures très ouvragées pour almanachs.
Les Arts Premiers, les Arts Orientaux connaissent une vogue grandissante auprès des amateurs ou des nouveaux collectionneurs.
Ils occupent une place de première importance sur l’ensemble du Salon.
Coté asiatique, abondance de magnifiques terres cuites, chez Eric Pouillot, tout particulièrement. Grises avec traces de pigments, de l’époque Qui ( 550-577) un saisissant chameau se relevant, un magnifique cheval harnaché au large tapis de selle, époque Wei ( 386-535) un fier cavalier Tang. Et encore de grosses oies verseuses Han ( 206 avant JC) et couverts en partie de glaçures vertes, noires, marron, trois serviteurs aux visages ingrats particulièrement réalistes.
Ming-K’i Gallery / Annie et Sébastien Janssens expose des Fat Lady, dames de cour, et toute une charmante basse-cour, poules et coqs. D’époque Tang, VIIIe siècle, un cavalier, et un bel ensemble de musiciens ainsi qu’un cheval en promenade accompagné de son groom. Plus ancien encore, ce groupe de sept musiciennes assises, époque Wei( IVe, V e siècle ) ainsi qu’un chameau bâté déblatérant d’époque Tang. Présents sur le stand, cinq chinois accompagnés de leur interprètes semblaient de sérieux acquéreurs.
Plus parisiens, les Ateliers Brugier, experts en laque, ouvrent leur stand par deux pierres de Lettrés géantes. Présentés de chaque côté, deux paravents de douze feuilles du XVIIe en laque de Coromandel, d’une qualité époustouflante. Sur l’un les scènes de paradis terrestre inspirées par le taoïsme, sur l’autre la réception de Guo Ziyi en 1691 (la date figure au revers en calligraphiée avec toute la description de l’évènement). Document fascinant, bande dessinée d’une qualité sublime, scènes de nature enchanteresses, des heures d’observation ne suffiraient pas à en épuiser les richesses.
Première visite, pour les Arts Premiers, chez Bacquart. La statue Nok, deux cents ans après J.C.° du Nigeria en provenance de la collection Amrouche s’impose d’elle-même ;une curieuse tête à barbichette pointue, bras croisés sur la poitrine orne un volet de la collection Rubinstein, ainsi qu’une exceptionnelle statue reliquaire par l’artiste Semango du Gabon datée de 1870. Manifestant un sens aigu du négoce, la charmante jeune femme à laquelle je demandais une précision sur un objet me renseigne avec le prix dudit objet pour toute réponse…..
Chez Yann Ferrandin, très beau masque rituel à double visage, un masque Kifwebe, de belle dimension, entièrement couvert de stries entourant bouche et nez proéminent, telles des scarifications, impressionne ; un petit masque surmonté d’une curieuse coiffure en forme de croissant, yeux fendus, petit nez, retient l’attention, comme ce très grand masque Nwenke surmonté d’un oiseau et représentant une curieuse tête oblongue animale.
Au département antiquités, chez Cybele, la Venus romaine, peigne dans une main, miroir dans l’autre, déploie une opulente chevelure séparée en deux dont les souples ondulations rappellent les plis de sa longue tunique. Un portrait de jeune homme de Fayoun frappe par son expressivité caractéristique.
Lee and Sons présente trois pièces cambodgiennes magnifiques de l’époque de Bayon : un bas-relief avec une Apsara ( danseuse) une tête de Shiva, un torse au mille boudhas. Japonais, le paravent sur kirikane du XVIIIe présente une série de médaillons d’une rare délicatesse : lapin blanc, grues, poules faisanes, oiseaux, fleurs blanches ou mer déchainée suffisent à illustrer la perfection de cet art.
Je me montrerai plus réservée sur l’ensemble des œuvres présentées chez les galeristes.
Au département ancien, chez Florence de Voldère vous saute aux yeux un petit Bruegel le Jeune, avec sa « Danse de noces en plein air » paillarde et profane, provocatrice face à l’autorité espagnole régnant sur les Flandres. S’apprécie également la finesse du trait de Van der Meulen « Arrivée de Louis XIV à Vincennes ».
Chez Fleury, « La Danse » de Picasso, crayon gras sur papier de 64 rafraichit agréablement. La gouache de léger » Le bonheur » euphorise encore, comme la vivacité des coloris de « Fat red boomerang » de Calder.
De belles pièces chez Boulakia, Hantaï acrylique, Chilida noir et blanc de 89, encre ficelle collage sur papier fait main, huile de Martin Barré de 58 ocre, blanc et gris, grande toile de Veira da Silva à la composition de gris et blancs. Plus anciens « Le salon de Clayes » de Vuillard aux tons chauds et à l’ambiance désespérante, une « Nature morte aux fruits » de Bonnard où se répondent cercles (fruits) et ligne horizontale ( linge) en rouge orange et vert.
Berès a aussi son Hantaï ( souvent présent cette année) et un joli Vuillard flou « Femme à l’ombrelle » .Un grand Venet sur papier était vanté avec insistance à un américain de Californie, un beau Mathieu avait fait son apparition ; discrète, une petite gouache de Léger laissait néanmoins éclater sa forme rouge « Araignée » Et toujours un panneau consacré exclusivement à Laurens, une très petit nu de femme en terre cuite venait d’être vendu.
Les aléas de la promenade et de l’emplacement des stands m’obligent à un retour en arrière dans les Arts Premiers.
Mermoz possède de véritables trésors d’Amérique du Sud, des pièces olmèques de Mexique, d’énormes boucle d’oreille en or martelé à colibris de Colombie, d’hiératiques chamans du Mexique préhistorique en pierre plate, bras croisés sur la poitrine, yeux fendus, nez saillantes ; splendide couple assis en terres cuites creuses vernissées Zacatecas, masque humain d’Argentine de moins 100à plus 250, plaque pectorale en jadéite maya gravée d’un homme assis portant une importante coiffe, jambes repliées.
Meyer-Oceanic et Eskimo Art crée la surprise avec ses rares sculptures Ewas, longilignes, spectaculaires, des Papous de Nouvelle Guinée. Quasiment une découverte : cachées dans des grottes, miraculeusement conservées, elles s’échelonnent du Xe au XVIe siècle, abandonnées par les indigènes repoussés loin de leur région d’origine par la colonisation.
La présence d’un petit masque esquimau, avec ses dents en morse, frappe aussi par la force de son expressivité.
La parenthèse fermée, revenons à la peinture chez Aktis qui met à l’honneur Zao-Wou-Ki et présente aussi une grande sculpture de Cardenas.
Un Hartung tardif trône chez Brame Laurencin . On a plaisir à retrouver trois jolis Odilon Redon chez Tamenaga, ainsi qu’un petit Corot de qualité, un Bonnard reconnaissable par son sujet « baignoire ». On y est moins sensible à l’hommage rendu à Roualt.
Robilant et Voena ont choisi Morandi. Son bouquet de fleurs n’est pas moins intéressant que ses verres traditionnels.
Sujet de contre-verses, volonté des organisateurs d’en limiter la place, l’absence des grands noms de la Place Vendôme dans le département Haute Joaillerie, déconcerte.
Chez les étrangers, des pièces de facture très conventionnelle offrent toujours à voir des parures dont le poids en carats demeure la caractéristique première.
Parure jasmin en diamants et superbe cascade d’émeraudes à faire verdir Elisabeth Taylor chez l’indien Nirav Modi toujours avenant. Coté anglais, Chez Glenn Spiro la rusticité du modèle contraste joliment avec l’opulence de la réalisation d’un bracelet « marguerite » souple. Moussaieff mise essentiellement sur la dimension XXL de ses gemmes : une manchette tout en brillants, des pendentifs d’oreille en diamants taille émeraude de dix-huit carats chacune, une parure tout en diamants jonquille stupéfient véritablement par la dimension de leurs pierres. Idéal pour combler princesses arabes ou nouveau russe au budget illimité.
Mais celle qui crée le choc, celle qui brise les codes, celle qui ose toutes les outrances, fait exploser les conventions, est une frêle et longiligne jeune femme taïwanaise, Ana Hu. Formée par les plus grandes maisons françaises tous ses joyaux sont exécutés dans les meilleurs ateliers parisiens. Surprenantes par leur dimension chacune de ses pièces révèle une folle audace. Extravagantes, colossales, baroques, ses broches papillons, ses interminables colliers aux reliefs souples qui descendent au creux des gorges, (hommage aux nymphéas de Monet !) ce bracelet cage qui emboite tout l’avant-bras pour se terminer par deux bagues, ses manchettes en perles roses et saphir roses, sa libellule géante topaze et verte, sa broche fleurie ornée d’un énorme saphir, ce collier entièrement transformable dont le fermoir représente une grue ( la Chine) , ces serpents affrontés qui réunissent un jonc de poignet et une bague.
Ici souffle le vent de la création. « Bon gout » bousculé, mais véritable nouveauté dans cet univers « figé ».
Je passerai rapidement sur les bijoux « anciens ». Noyés dans un océan de modèles-boutique des années soixante soixante-dix, trop peu de pièces rares. Epoque, maison belge réunit dans une vitrine une rare chaine de corsage de Fouquet et Mucha, ainsi qu’une collection d’autres pièces art-déco de grande qualité. Desprez, autre signature singulière est modestement présent chez Alain Pautot et chez Véronique Bamps qui présente aussi une belle paire de clips d’oreilles perles et brillants de Schlumberger.
Dernière section, la Décoration « moderne » dont l’engouement va se confirmant auprès des amateurs depuis ces dernières années.
Chez Marcilhac un créateur trop longtemps méconnu, Marc du Plantier, occupe une place de choix avec un superbe bureau plat en parchemin souligné de laiton accompagné de sa chaise, et le panneau du même créateur au-dessus d’un imposant buffet d’Eugène Printz en ébène du Gabon encadré de six colonnes sculptées et plateau en coquilles d’œufs. Léger, un ravissant guéridon tripode en palissandre de Ruhlmann, et encore ce bar de Dunand orné de poissons exotiques.
Ruhlmann se retrouve chez Mathivet avec un salon complet et son guéridon jouxtant une incroyable cheminée uniquement décorative signée Bugatti, en parchemin avec médaillon de cuivre ouvragé, dont on retrouve aussi une très originale banquette à l’entrée du stand, dans les mêmes matériaux encore agrémentés de pampilles. Plus loin, sur le stand de Robertaebasta on peut aussi voir une curieuse chaise de Bugatti exactement de la même veine : un complément inattendu.
Jacques Lacoste dédie son stand à jean Royère, décorateur des années cinquante longtemps ignoré, avec ce lit tendu de velours jaune poussin, son large canapé-lit en cannage et acajou, son meuble d’appui herbier, sa série de luminaires : lampes, appliques, lampadaires. Deux chaises de Giacometti en fer forgé viennent compléter l’exposition ;
Souhaitant se démarquer de ses confrères, Yves Gastou a installé devant un large vitrail de Jacques Loire non sans rappeler Barillet, une coiffeuse, sa chaise et son repose- pieds de François Thévenin, artiste récemment disparu, traités en ferronnerie et bois aux formes végétales et organiques. A l’entrée, comble de dépouillement et de rusticité, une longue table- bureau faite d’un tronc d’arbre et sa chaise rudimentaire sont l’œuvre de Dominique Zimbacca designer des années soixante-dix, dont les créations se retrouvent dans sa maison de Dinard.
Pour terminer, il faut signaler l’hommage rendu aux grands collectionneurs suisses Barbier Mueller.
A chaque extrémité du Grand Palais un « échantillonnage » donne un trop modeste aperçu de l’éclectisme qu’ils ont manifesté pour toutes les formes de l’art dont la qualité triomphe.