Pierre Bergé récemment disparu n’aura pu assister à l’ouverture de ce Musée qu’il a souhaité.
Après la grandiose rétrospective organisée au Petit Palais en 2010, les salons de l’Avenue Marceau s’ouvrent à nouveau : promu au rang de Musée National, ce lieu pérennise les créations du couturier.
A une époque où la « Haute Couture » avait toute sa signification avant de n’être plus que prétexte à de gigantesques shows promotionnels, le plus jeune des couturiers, successeur désigné de Christian Dior, révélait déjà, à vingt ans, ce sens de l’élégance maitrisée, du dépouillement sans austérité, de la modernité féminine, jamais démentis.
Et c’est justement cette modernité que souligne dès l’entrée la première salle.
Fondamentaux dans l’émancipation du vestiaire féminin, quatre modèles suffisent à la résumer :
Le pantalon, longtemps interdit de garde-robe y triomphe avec le légendaire smoking et le jump-suit de jersey ; symbolique aussi de l’androgynie assumée : le trench en cuir ; enfin la saharienne, toujours reprise au fil des ans.
Face au mur où l’on peut étudier tous les éléments qui jalonnent l’élaboration d’une collection, croquis, échantillons, fiches d’atelier,
Sont réunis des modèles de sa première collection présentée en 1962, Rue Spontini.
Immédiatement, cette robe en soir cloquée avec juste un empiècement sur la poitrine et quelques boutons- boule de passementerie sur le devant et aux poignets, ce tailleur simplisssime de shantung naturel, cette blouse normande de satin crème,portée sur une jupe droite ,avec pour seul ornement une petite échancrure au cou, ce tailleur beige, veste cardigan et blouse de soie à nœud lavallière, tout comme ce petit « dépassis » d’un volant ocre égayant le bas de veste d’un tailleur noir, donnent chacun la mesure du style, de la maitrise du créateur.
Présentés chacun enfermés dans une sorte d’écrin, l’impressionnante collection de bijoux révèle l’importance que Saint Laurent a toujours conféré aux parures.
On reconnait entre autres, repris et exécutés dans les matériaux les plus divers, interprétés dans maintes formes, le fameux cœur porte-bonheur, les nœuds, le soleil ou les étoiles.
Leur répondent en écho, trois très précieux cardigans, quintessence du savoir-faire des brodeurs. Cristaux, paillettes, sequins pierres de couleur, cabochons travaillés, imbriqués, superposés, imbriqués, atteignent un rare degré de perfection, tout particulièrement avec le modèle « Hommage à la Maison » spencer moulant de strass et paillettes argentées bordé de feuilles d’or en relief de la maison Lesage.
« Mes plus beaux voyages, je les ai fait avec des livres, sur mon canapé, dans mon salon » déclarait Saint-Laurent.
Dans la salle suivante, triomphe le gout du couturier pour l’exotisme tous horizons confondus.
Le pantalon de Zouave, le chechia et burnous pour Marrakech où furent si féconds ses séjours à la Villa Majorelle.
La Russie qui lui inspira une de ses plus belles collection : la redingote de lamé vieil or matelassé, au corsage rebrodé de jais, gansé de vison et ceinturé de passementerie est un sommet d’élégance et de raffinement.
l’Espagne, avec cette irrésistible tenue de torero étincelante de broché or bordé d’un ruban de satin chocolat noué au bas de la veste et de la culotte et cette robe gitane éclatante de couleurs, buste encagé par les riches broderie du corsage chamarré et jupe virevoltante de mousseline à fleurs.
La collection africaine aussi aura fait date : ainsi on revoit la fameuse robe bambara aux seins pointus dont le travail de broderie entièrement noire allie avec virtuosité rhodoïd, jais, fils de soie en bandes horizontales ajourées.
Exposée de dos, au milieu des cet ensemble, s’admire l’infinie délicatesse de la palette des fleurs brodées qui parsèment en relief une somptueuse cape d’été de lourde soie corail.
En gravissant l’escalier, on quitte un décor entièrement noir pour pénétrer à l’étage dans une salle nimbée de blanc pur, consacrée au seul thème historicisant : « Hommage à la Mode ».
Voyage dans le temps, rêve éveillé, alignés en courbes ondoyantes, défilent sous nos yeux éblouis, toutes les époques réinterprétées avec autant de gout que de modernité par le couturier.
Oubliez les modèles de jours.
Laissez-vous emporter par la nuit.
Et admirez :
Drapés de fourreau à l’Antique, hiératiques robes médiévales, en velours noir, longues manches en ailes, ou velours sapin ceinture bijou byzantin cabochon sur passementerie et toque en loutre posée sur mousseline.
Richesse d’une robe d’infante, tenue de la mariée, aux volutes de perles rocaille, pampilles et jais brodées sur le devant d’une longue robe d’épais satin ivoire à l’ample jupe ;
Robe Watteau avec cet « Hommage à Christian Dior » d’une robe « A la Française » de damas de soie brodé de fleurs géantes sur fond émeraude.
Particulièrement féminine la silhouette XIXe avec son ample jupe damassée et long caraco de velours souligné de son ruché de satin et ses nœuds aux poignets.
Spectaculaire non seulement par sa ligne, mais par ses effets de broderies : trainées argentées de queue de comètes sur un fourreau de velours noir et son paletot dans l’esprit de Paul Poiret,
Réactualisée la robe charleston de mousseline blanche entièrement striée de perles tubulaires transparentes.
Tellement piquante la robe à l’espagnole, corsage échancré, mini -jupe bouillonnée devant, longue traine drapée rebrodée de résille, croisillons et pompons jouant le contraste beige et noir( Hommage à Roland Petit et Christian Bérard)
Les plumes d’oiseaux de Paradis qui barrent le haut d’un fourreau épuré de satin crème rappellent la grande Madeleine Vionnet et les années trente.
Sans oublier la période de la guerre et de l’occupation, collection qui fit scandale en 1970, illustrée par une coquine robe lainage noire, épaules exagérées et dos entièrement dévoilé sous une double épaisseur de dentelles.
La visite du studio ne se fait sans une certaine émotion.
Sur le bureau du couturier, tous ses objets personnels rassemblés : photos, pierres dures, carnets, pots à crayons,
Sur un autre, pêle-mêle, croquis, gants, boites de boutons, échantillons s’amoncellent,
Un troisième voit s’empiler les livres, certains ouverts.
A l’extrémité… un grand miroir occupe le mur
Près de l’entrée, sur un stockman, la toile d’une saharienne.
Avant de repartir, on passe devant d’autres modèles emblématiques : ceux nés de son amour pour les grands peintres.
La robe Mondrian, seule dans sa vitrine, la veste aux tournesols d’après Van Gogh, celle à la guitare présentée devant la toile de Picasso, la luxuriance de Matisse et la mariée drapée au moule dans son mini fourreau blanc sur lequel deux colombes découpées en relief, d’après Georges Braque, viennent se poser dans un baiser.
Si l’on souhaite encore s’attarder, ne manquez pas les « recoins » où vous pourrez voir les petits films dans lesquels les différents collaborateurs de la maison (où travaillaient deux cents personnes), évoquent leurs souvenirs, l’annonce par Yves Saint-Laurent de la fermeture de sa Maison en 2002, ainsi que d’autres documentations.
Dernier crochet par les grands salons.
Vidés de leur substance, en dépit du cocktail qui accueillait les nombreux invités, malgré les cascades de fleurs tenues par les sculptures entourant les miroirs, le monumental lustre aux pampilles de cristal,
Emanait du lieu, toute proustienne, l’impression mélancolique du « Temps Retrouvé ».
Impeccable, une dame arborait un ancien tailleur couture parfait dans sa sobre élégance.
Comme un chic aujourd’hui daté.
Un temps à jamais révolu.