Nous surprend encore.
«La technique des plus grands, Vionnet, Grès, Balenciaga, Dior, maîtrisée et réactualisée, nous donne la démonstration suprême de son incomparable talent.»
Après la disparition du couturier, Lulu a suivi toutes les expositions organisées à la Fondation, par le même Olivier Saillard.
Celle consacrée à «Adrian ( célébrissime costumier-couturier d’Hollywood) et Alaïa» en 2019, révélait déjà les affinités et l’attention portée à ses prédécesseurs, ici, exclusivement consacrée à l’art du tailleur soumise à l’obsession partagée pour la technique.
Cette dernière exposition révèle un tout un pan inconnu du couturier: l’inlassable collectionneur secret.
En véritable précurseur de la conservation, il a poursuivi tout au long de sa vie la quête et l’acquisition d’anciens modèles de Grandes Maisons.
La collection du couturier débute par quelques modèles de Worth l’inventeur de la Haute Couture sous le Second Empire et s’étend jusqu’à nos jours avec les derniers créateurs contemporains, tels Jean-Paul Gaultier, Thierry Mugler, Yoshi Yamamoto, John Galliano et Vivienne Westwood dont il a accueilli les premiers défilés.
En 1968 La fermeture de Balenciaga marque le début de cette passion.
Se voyant proposer par sa directrice de la Couture, Mademoiselle Renée, des tissus pouvant l’intéresser, il en perçut aussitôt la valeur, la fragilité et l’importance de leur conservation.
Son engagement pour la préservation de ce patrimoine «éphémère» ne se démentit jamais plus.
A côté des Grands dont le nom et la notoriété ont traversé les années,
ressurgissent aussi de l’oubli des pans entiers de la création dont les auteurs et le travail ne sont pas passés à la postérité.
D’une collection de 20 000 pièces, les 140 sélectionnées nous font déjà revoir, redécouvrir, ou découvrir un monde d’exigence, de perfection, d’élégance, et d’inventivité.
Voyage à travers le temps,
Voyage au travers les influences,
Révélation de l’évolution des codes,
Traversée passionnante, éblouissant d’une diversité révélatrice des multiples facettes des talents ici réunis.
Honneur à Balenciaga, à l’origine de cette «collection».
La robe de cocktail en crêpe de laine noire, et le manteau du soir de 1939, en laine rouge impérial broderies de jais cordons torsadés et pompons noirs autour des épaules suffisent à prendre la mesure de ce maître de l’élégance.
De Jacques Doucet, grand collectionneur d’art, l’ ensemble d’après-midi de satin de soie façonnée et faille de soie ciel à motifs d’hortensia, dentelle de Chantilly au corsage et manches, et jupe à traîne révèle son attrait pour le XVIIIe siècle
Ses créations manifestent son goût pour l’exotisme et les artistes de son temps avec ses pantalons bouffants, ou ce manteau de voyage d’inspiration d’Afrique du Nord en laine écru, boutonnage asymétrique, taille surbaissée, doublure de soie signée Raoul Dufy porté par son épouse Denise.
Alaïa lui a rendu hommage en organisant chez lui une exposition-vente consacrée au couturier.
Chez Boué Soeurs, la robe du soir courte, «à paniers» richement brodée témoigne de la vogue de la «Robe de style» dans les années 20, aussi présent chez Poiret et Jeanne Lanvin, autre moderniste illustrée par son fourreau de soie bleu marine aux lanières blousantes brodées de pyramides de métal et paillettes argent à motifs géométriques de 1936 rythmant le décolleté dos nu.
Fasciné par cette autre iconoclaste, Alaîa a réuni de nombreux modèles de Chanel. Son style épuré et son raffinement trouvent dans cette robe du soir de 1937, toute de tulle de soie brun et rayures de rubans de tissu bronze doré, doublure en faille changeante, une superbe démonstration.
Madame Grès, comme Alaïa, se voulait sculpteur. Sublimées chez notre collectionneur, ses robes drapées à l’antique, créées entre les années 30 et 80, demeurent, fait rarissime, «indémodables» et conservent une élégance à nulle autre pareille. Les photos,une robe du soir en jersey noir entièrement travaillé en plissé sur le devant, en motif tressé à la taille de 1943, et , un long fourreau en soie rouge impérial pan froncé fixé à la taille, bustier style péplum de la collection automne hiver 1984-1985 témoignent à elles seules d’une époustouflante virtuosité.
Connue pour son inimitable usage du biais, de Madeleine Vionnet témoigne d’une autre forme de virtuosité pas moins admirable. Dans la collection d’Alaïa on peut la découvrir sur cette robe du soir en crêpe de soie abricot à l’encolure drapée et dos nu fermé par de petits liens en cuir doré et pinces, jupe se terminant en traîne.
Autre modèle révélant un savoir-faire d’une rare délicatesse, cette robe en rayures de soie anthracite et mailles de cordons de soie noire posés sur un fond de soie anthracite et bleu.
| Chez Schiaparelli, souffle l’esprit surréaliste. Si ses créations les plus folles, comme son chapeau- chaussure, ne figurent pas dans sa collection, Alaïa en possède néanmoins de très beaux «spécimens». Témoignage de cette originalité jamais démentie comme de sa complicité avec les artistes, cette veste parsemée de poussières d’étoiles sur fond de velours marine( magnifique travail de Lesage) de la collection Zodiaque ,1939, et cette robe de la même année en soie ivoire imprimée de motifs signés Vertès représentant des élégantes avec leurs petits chiens. | |
Novateur dès 1914, Jean Patou, créateur de l’élégance sportive, a su apporter une nouvelle forme à la libération de la femme avec ses vêtements spécialement conçus le «plein air». S’il conçoit la tenue de Suzanne Lenglen, championne de tennis, à cette garde robe «simplifiée», il allie un talent consommé pour les tenues du soir, incarnant pour Alaïa «l’expression ultime de la,mode française». un fourreau de satin bleu nuit, encolure asymétrique pan drapé dans le dos.
Durant ces mêmes années , surgissent des modèles griffés de créateurs dont s’est effacé le nom.
Pas pour Alaïa.
De Myrbor il possède ce somptueux manteau du soir en velours brun brodé de bandes de fils métalliques or et argent (photo 16). De Lenief, ancien styliste chez Poiret, une spectaculaire cape de velours de soie rouge cardinal doublée de lamé or, dos plongeant souligné d’une pampille de fils métalliques or tressés,( photo 17) de Callot Sœurs un manteau brodé de motifs végétaux, de Jeanne Paquin, assistée de Ana de Pombo, une très actuelle robe longue, fourreau fluide de soie noire ornée de cordons de tressés avec des laminettes aux poignets et milieu devant des années trente. (photo 18).
De Lucile Manguin, fille du peintre éponyme, cet ensemble ultra- féminin à corsage et jupe de mousseline gris pâle avec jupe drapée et nouée à la taille sur fond rose pétale, (photo 19) ou de Raphaël une robe du soir de jersey de soie écru, avec encolure à fines bretelles et buste entièrement smoké et drapé, (photo 19), impressionnant travail.
Grand couturier parfois méconnu, Lucien Lelong successeur de ses parents à l’origine de la maison de couture, a marqué son style par l’élégance rigoureuse. On ne saurait mieux le percevoir dans les modèles extrêmement raffinés, délicats et savants qu’illustrent admirablement deux modèles de la collection d’Alaïa: une robe longue en jersey de soie noire et dentelle, panneau plissé- éventail incrusté sur le devant de la jupe et cette autre de robe longue des années quarante cinq-cinquante en crêpe de soie bleu nuit aux emmanchures asymétriques et décolleté ornées d’un savant drapé. Pour mémoire, rappelons que la couture française lui doit son maintien à Paris grâce à la courageuse attitude du couturier face à l’occupant qui la voulait installée à Berlin. |
Après guerre, triomphe la femme fleur de Dior. Taille de guêpe, épaules marquées, jupes- corolle . De 1947, avec son «new look» jusqu’à sa brutale disparition en 1957, ces dix années années de création ont suffit à durablement marquer les mémoires. Alaïa, ayant travaillé quelques jours dans ses ateliers à son arrivée à Paris, lui vouait une immense admiration. Sa collection ne compte pas moins de cinq cents modèles griffés Dior. La délicieuse robe de cocktail en taffetas de soie noire, large décolleté, savants nœuds bouffants aux épaules et large jupe à plis creux en est une parfaite réalisation.
Dès le printemps 58, son successeur Yves Saint Laurent, saura briser les codes maison en lançant la ligne «Trapèze », évoquée dans la collection d’Alaïa par robe de cocktail évasée, taille juste marquée par petit noeud posé sur le devant.
Si Balmain, plutôt conventionnel, Jacques Fath, Robert Piguet, Jacques Griffe, Nina Ricci figurent tous dans les collections d’Alaïa, Lulu citera Mademoiselle Carven. Voyageuse infatigable, elle a su conférer ses lettres de noblesse au coton et célébrer l’ailleurs dans ses collections.
Des couturiers «Futuristes» des années soixante, on reconnaît un modèle de Cardin, aussi tailleur comme Alaïa, un modèle Courrèges dont la collection de 64 fit l’effet d’une bombe. Ici son style reconnaissable entre tous est représenté par une robe trapèze, à motifs géométriques en trompe-l’oeuil de sequins sur tulle noir et doublure claire.
Dès les années 80 s’affirment de nouvelles tendances qui bousculent avec une rare insolence les canons esthétiques.
Contemporains d’Alaïa, représentatifs de cette rupture, sont réunis sur le même podium, Thierry Mugler, John Galliano, Vivien Westwood, dont Alaïa accueillit le premier défilé dans sa maison. De Jean-Paul Gaultier, l’enfant terrible de la couture, un tailleur structuré à jupe coupée court devant et longue dans le dos, (photo 25), de Comme des Garçons ce modèle noir, lourd, de forme pyramidale, (peu flatteur pour la silhouette) à bandes rigidifiées faites de nœuds,(photo 26), et ce long fourreau de Junya Watanabe dont l’encolure en V se compose d’un assemblage surprenant de fermetures à glissière métalliques(photo 27).
A la sortie, en exergue, la profession de foi d’Alaïa:
«Depuis de nombreuses années, j’achète et reçois les robes, manteaux, les vestes qui témoignent de la grande histoire de la mode. C’est devenu chez moi...une marque de solidarité à l’égard de celles et ceux qui, avant moi, ont eu le plaisir et l’exigence du ciseau. C’est un hommage de ma part à tous les métiers et à toutes les idées que ces vêtements manifestent».
Dans ce monde impitoyable, l’affirmation d’une générosité, d’une curiosité et d’une modestie sans pareilles.
Le parcours de l’exposition nous en a donné l’éblouissante confirmation.
«Chapeau bas Monsieur Alaïa».
Un conseil, n’oubliez pas de traverser l’avenue. En face au Musée d’Art Moderne vous découvrirez encore une pépite: le costumes dessiné par Matisse pour «Le Chant du Rossignol» créé par Serge Diaguilev pour les Ballets Russes, musique d’Igor Stravinsky, chorégraphie de Massine.