Avec cette définition « Le dressing, bibliothèque romanesque dont les musées de la Mode sont les reliures de tissus »,
« La leçon d’anatomie » que nous dispense Olivier Saillard, brillant et sensible directeur du Musée Galliera, étudie le vêtement sous des angles tous différents, chacun porteur d’une signification tangible, profonde, souvent émouvante, toujours révélatrice.
Conservées au-delà de l’existence de ceux qui les ont portées, ces deuxièmes peaux dont nous nous « recouvrons » tous, acquièrent ainsi une dimension particulière, illustrée chacune par une succession de thèmes passionnants.
« Reliques du Passé » inaugure le parcours avec ce parallèle entre les « reliques de contact » au caractère sacré reconnu par la religion catholique pour les vêtements de Saints, et les vêtements d’êtres « singuliers », ou bien les « vêtements reliques » conservés par un proche du défunt, « qui ont même valeur mémorielle, défiant le temps et oblitérant la mort ».
Ainsi le splendide gilet à manches, soie azur brodée de fleurs roses et argent du Prince de Ligne, le riche manteau de cour rebrodés de soie polychrome, canetilles et paillettes de motifs « cashmere » offert à l’Impératrice Marie Louise par le Vice-Roi d’Egypte (encore jamais vu), une robe parée de Joséphine, l’habit de membre de l’Institut d’Egypte porté par le Général Bonaparte, et le caraco de le Reine Marie-Antoinette sont autant de « reliques » des Grands de ce monde, comme l’ensemble ciel « à la matelotte » du jeune du Dauphin Louis XVII, avec les premiers pantalons selon la mode anglophile de l’époque inspirée des marins irlandais, et sa fine chemise de baptiste pieusement conservée.
Citons aussi, les « vêtements de tristesse » :
Redingote noire portée en 1836 le jour de son duel fatal contre Emile Girardin par le journaliste Armand Carrel, devenu martyr républicain, et conservée par « la Personne » aimée dont il défendait l’honneur ;
Deux ravissantes tenues de faille, l’une de mariage, couleur ivoire, la seconde de « visite », tourterelle, portées par la jeune épouse du célèbre Docteur Gachet emportée par la phtisie dans la fleur de l’âge et conservées par le veuf inconsolable.
En contrepoint saisissant, taillé dans ce rouge stigmatisant, un costume de forçat en drap grossier ; très répandus à l’époque, quelques tabliers de simple cotonnade et de larges jupes de paysanne, en laine sergée, adaptées au travail des champs.
Révolutionnaires, un bonnet phrygien et son étui, une « culotte » de sans culotte s’insèrent au milieu d’une collection d’accessoires aussi surprenants que :
Le manchon de la Princesse Mathilde, admirable travail de marqueterie de plumes de paons et de lophophore (rare et exotique oiseau migrateur de l’ Himalaya)
Le sac de golf encore garni de ses balles et tee du couturier Doucet, à l’élégance légendaire dont Poiret évoquait « l’allure noble et cette grâce altière » ; « l’en-cas » de Camille de Breuil, à la fois ombrelle et parapluie,
Sans oublier l’habit pour enfant « à la hongroise » signe de la mode de « costume de fantaisie » aussi doté de cette nouveauté, le pantalon ;
Enfin la robe de chambre ancienne volontiers portée par Maurice Leloir, méprisant la mode Belle Epoque et fondateur de la Société de l’Histoire du Costume, dont sont issues les collections de Galliera.
Sous le titre « De la cliente charismatique à la parfaite inconnue » une nouvelle section aborde les relations, établies depuis la fin du XIXe siècle, entre le couturier et sa cliente.
Givenchy délicieusement incarnée par Audrey Hepburn, Catherine Deneuve fidèle à la scène comme à la ville à Saint-Laurent, se situent dans une longue lignée de femmes, parfois anonymes, souvent exceptionnelles , dont la proximité avec les couturiers remontent à Worth, couturier de têtes couronnées dont l’épouse fut le premier mannequin, suivie bientôt par Madame Poiret toujours habillée par les créations d’avant-garde de son mari, ou Réjane ambassadrice exclusive de Doucet.
Ainsi une collection de tenues ayant toutes appartenues à de grandes élégantes révèlent-elles un style, un gout, une allure, une personnalité, illustrant les tendances d’une époque, ses conventions ou ses audaces.
Le fourreau à la grecque en jersey marine, d’Alix porté par Suzy Delair, la longue robe de velours noir au savant drapé dans le dos signé Madame Grès( Alix auparavant) de Madame Labourdette, Daisy Fellow habillée par Schiaparelli, la Duchesse de Windsor en robe sage de Marc Bohan pour Dior, Geneviève Page, filleule de Christian Dior disparu, dont l’élégantissime robe de mariée, faille ivoire ceinture drapée, jupe ample, légère échancrure autour du cou, manches trois-quarts, est l’œuvre du jeune Saint-Laurent, l’étonnante collection de « bibis » de Mitzah Bricard, muse de Christian Dior, Anna Gould, Duchesse de Talleyrand avec sa somptueuse cape brodée sur tulle posé sur fond de satin crème, ou sa robe d’été Chanel en dentelle jouant la transparence, encore Nathalie Barney dans sa robe années vingt, en jersey marine de Poiret brodé de losanges en fil d’or, forment un étourdissant défilé où rivalisent luxe et raffinement, mélange de coupes savantes ou de « confort », reflets de l’indéniable « intelligence » existant entre le créateur, sa cliente, son égérie, sa muse.
En écho, épinglés au mur tels des insectes par l’entomologiste, une humble série de tabliers de cuisinier, de blanchisseuse, de coquette femme de chambre, de blouse de coiffeur, une blouse et culotte de bleu d’ouvrier de toutes part rapiécées, signes de la dureté de certaines conditions jusqu’au siècle dernier, du prix élevé des tissus, véritable capital précautionneusement entretenu par les corporations de fripiers et chiffonniers .
Dans la section consacrée aux « Artistes de scène et figures de femmes » deux étonnantes combinaisons. L’une pourvue de doigts de pieds, , appartenait à Madame Segond Weber, grande tragédienne et rivale de Sarah Bernhardt, imposées par la pudeur afin d’entièrement dissimuler la moindre parcelle de peau.
L’autre, noire, transparente, arachnéenne, très osée pour l’époque, était le costume de Musidora, dans le film de Louis Feuillade » les Vampires ».
Contrastes étonnants avec une toilette de scène de Mistinguett, paillettes, aigrettes et tulle bleu royal, les parures historicisantes, le collet d’hermine ourlé d’agneau de Mongolie, l’éventail en renard blanc d’une Sarah Bernhardt dont Mucha disait » Sarah ne se soucie pas de la mode, elle s’habillait à son gout » constituent de frappants exemples de la « confusion de la mode de ville et de la mode de scène » comme les bas de soie rouille brodés mordoré, le corsage de taffetas de soie écru brodé de fleurs polychromes, aux manches gigot, le collet en plumes d’autruche noire, portés par Cléo de Mérode voisinant avec sa stricte veste d’amazone, souvenir d’un premier amour conservé tout au long de sa vie.
« Au plus près du couturier », et « Prototypes de défilé » concluent l’exposition, avec quelques tenues marquantes , spectaculaires ou improbables : entre autre, la divine robe de bal crée par Christian Lacroix pour son épouse Françoise, corolle de faille saumon, jupe courte devant longue derrière, taille haute ceinturée de vert absinthe largement noué dans le dos, volant plissé noir soulignant bas de jupe et manches, sublime écrin, évocation acidulée des robes à la Watteau ; le pyjama de crêpe noir brodé de chainettes de perles or créé par Heider Ackerman pour Tilda Swinton , en parfaite harmonie avec la personnalité androgyne affirmée de la comédienne, comme la robe de python blanc à jupe bouffante et corsage croisé spécialement dessiné par Alaïa pour son amie Carla Sozzam.
L’idée fantasmée du vêtement, la pièce crée pour n’être jamais portée, sauf lors du défilé, nous vaut toute la fantaisie débridée de Jean-Paul Gaultier avec ce fourreau de velours mandarine aux « seins-obus » à l’effet garanti, comme le manteau-perruque blond platine de Margiella, dissimulant jusqu’au visage du mannequin enserré dans un bas, ou la robe-linceul de « Comme des Garçons », parsemée de délicates fleurs blanches, fourreau entravant la marche, laissant juste une étroite ouverture pour le visage.
Dans cette ultime section, le corps n’est plus que « support vivant d’une idée » le vêtement, la quintessence de l’esprit du créateur, la notion de durée d’un vêtement réduite à la seule fulgurance du passage sur podium, pulvérisant l’échelle du temps habituellement calculée pour « l’usage » de tout vêtement.
Les mots d’Olivier Saillard, se prenant à rêver de rencontres imaginaires à la vue de ces vêtement jadis portés par Marie-Antoinette côtoyant ceux d’une Sarah Bernhardt dans les réserves du Musées, nous donnent l’exact sentiment de la charge de souvenirs, imprégnés d’une vie bien réelle, contenus et transmis par ces fragiles pièces d’étoffe.
Après « Madame Grès » « Azzedine Alaïa », « Les années cinquante-la mode en France de 1947 à 1957 », » Jeanne Lanvin » et « La Mode retrouvée, les robes trésors de la Comtesse Greffulhe » , le Directeur du Musée Galliera, s’impose cette fois encore pour notre plus grand plaisir, en « historien érudit et iconoclaste » ainsi que la presse l’a salué.
La mode, sujet d’une réflexion profonde,
La démonstration magistralement faite,
Cette exposition en révèle la face cachée :
Passionnante et émouvante ;