Nouvelle épreuve.
Atmosphère idéalement proustienne aussitôt démentie.
Perchman à ses côtés micro tendu, Marcel, le blond et athlétique Stéphane Vanrupenne, ressemblance évidente, fait son entrée. Lavallière autour du cou et guitare en bandoulière il chante à pleine voix« My Lady d’Abanville » des Moody Blues.
Immédiat désenchantement.
La Grand-Mère de l’auteur, personnage si attachant, et femme très cultivée, apparaît à son tour grotesque dans sa robe à crinoline disproportionnée. Interprétée par Claude Mathieu, rien ne subsiste de ce personnage particulièrement cher au coeur de son petit-fils.
Quant à Françoise, la servante attachante et dévouée au franc parler et fort accent, Julie Sicard, petite bonne femme sans présence, mais voix forte, la prive de toute la faconde et des rondeurs de cette fine observatrice.
Pauvre Françoise.
Sans intérêt, la visite de Marcel à Doncière.
L’effet du brasero flambant n’allège aucunement l’interminable exposé sur la stratégie de son ami Saint-Loup, Sébastien Pouderoux, incolore.
Comparées aux talents de Proust, fin stratège dans ses relations, les sollicitations de Marcel afin d’être reçu chez Oriane de Guermantes, tante de Saint-Loup, semblent d’une rare platitude.
Rachel,comédienne célèbre mais de « basse extraction », se devait d’apparaître entièrement nue dans son tub.
Dans sa violente querelle avec son amant Saint-Loup, Jennifer Decker, hystérique et trépignante, se veut provocatrice en séduisant le valet de service, dans une scène digne de la pire télé-réalité.
Pas moins admirable son final où dansent le jerk tous les personnages présents.
Nous voilà dans le salon des Guermantes.
Gare à nous.
Inspiré par la chorégraphie de Pina Bausch pour Kontakthof, Christophe Honoré fait entrer sur scène tous les personnages en file indienne, mus par des mouvements mécaniques.
Le ridicule triomphe,
Anéantie la finesse d’analyse proustienne.
Le jeu des protagonistes ne « dépare » pas.
Madame de Guermantes, admirablement évoquée et sublimée dans ses apparitions par Proust, devient en Elsa Lepoivre, long échalas osseux, élocution indistincte,moins qu’une vile pimbêche.
Dominique Blanc, habituellement excellente, apparaît ici en vieille sorcière bossue affublée d’une perruque de cheveux blancs hirsute rendant la Marquise de Villeparis juste cancanière telle une concierge d’ immeuble,
Serge Bagdassarian, totalement dépourvu de morgue et de superbe, campe un Charlus seulement insidieux, voire libidineux dans ses avances à Marcel,
Laurent Lafitte balourd Basin de Guermantes, n’interprète qu’un sot au premier degré.
Participants décisifs à cette exécrable tableau de mauvais music-hall,
les micros s’échangent, se transmettent, passent de mains en main, s’accaparent dans un numéro de variétés maintes fois vu.
L’humour finement distillé de Proust banni,
Les répliques qui se veulent drôles relèvent du comique troupier.
La scène suivante évoque la mort de la grand-mère de l’auteur.
Christophe Honoré, recourant à la vidéo, filme son agonie projetée dans un cadre doré posé à cour.
Oubliée, effacée, gommée, la douleur du narrateur.
Place au réalisme le plus cru.
Spasmes, gémissements, râles, rien ne nous est épargné.
A bout,
Lulu a pris la fuite.
Sans même évoquer la sublime musicalité de la prose proustienne, (que seul Raoul Ruiz est parvenu à restituer dans son film « Le Temps Retrouvé »),
Rien ne subsiste de l’acuité, de la pénétration de l’analyse psychologique de cette comédie humaine.
Pas même trahison ou souillure,
« Le Côté de Guermantes » illustre la quintessence l’ABSOLUE incompréhension.
Christophe Honoré a su évoquer sa famille et ses origines modestes dans «Le Ciel de Nantes» (Lulu d’avril 2022),
Dénaturé, trahi, assassiné,
L’esprit proustien lui sera à jamais étranger.