« Haute Couture »,
Véritable « Invention » due à Charles Frederick Worth, cet anglais installé en France.
Ses nombreuses innovations : la griffe à son nom cousue à l’intérieur du vêtement devenue reproduction manuscrite de son paraphe, la saisonnalité des créations, les défilés des modèles perdurent, immuables, jusqu’à aujourd’hui.

De même, Worth, véritable pionnier dans son domaine, a su faire rayonner et vendre ses créations exclusives à travers le monde.
Tenu par ses contemporains pour un « Tyran autocrate et génial »,
Worth prétendait à exercer son métier comme « Un art »
« Obtenir et tenir », sa devise, suffit à résumer la détermination du couturier.
Elle permettra à sa maison de devenir une griffe mythique perpétuée par ses fils Gaston et Jean-Philippe, et ses petits fils Jean-Charles et Jacques,

Sans oublier Marie Vernet, son épouse. Elle sera sa conseillère, sa meilleure ambassadrice, devenant le premier mannequin vivant de l’histoire.
C’est elle qui lui fera rencontrer Pauline de Metternich, sa première cliente, qui l’introduira auprès de la cour impériale.
Prestigieuse adresse.
Associé au suédois Bobergh, en 1858 ils s’installent au premier étage du 7 rue de la Paix, à proximité du palais des Tuileries, adresse demeurée jusqu'à nos jours l’intact symbole du luxe et d’élégance.
Après ces quelques rappels historiques, place aux créations qui s’exposent devant nous.
Une première vitrine nous fait pénétrer d’emblée dans l’univers du légendaire tableau de l’Impératrice Eugénie entourée de ses dames d’honneur peint par Winterhalter.
Crinolines, soieries aux coloris unis mais subtils, corsage à « transformation », travail de tuyautés, d’applications, de volants, caractérisent cette première période.
Elles éblouissent le spectateur, en justifient le prix exorbitant.
En 1870, après la séparation d’avec Bobergh et la chute de l’Empire, Worth poursuit son ascension auprès de l’élite de ses contemporains sous la troisième république.
Un Rayonnement que vient renforcer la tenue de l’Exposition universelle de 1878.
Au delà du monde aristocratique ses créations séduisent aussi la haute bourgeoisie, une riche clientèle étrangère, les actrices.
Donnant libre cours à son goût, il impose le style « tapissier ».
La surcharge de décoration s'y déploie immodérément.
Le « pouf », la « tournure » remplacent la crinoline, ils font passer tout le volume à l’arrière de la silhouette.
Jean-Philippe Worth succède à son père disparu en 1895.
Incarnée dans le portrait en pied de Madame Feydeau par Carolus Durant,
Son style, sans véritable rupture, affine cependant la silhouette féminine, la traîne remplace les poufs.
La fluidité des lignes demeurent associées à la richesse des garnitures et des étoffes chatoyantes célébrées par Théophile Gauthier.
Salle suivante, sous le titre de « 24 heures de la vie d’une femme »,
la robe de mariée de 1878, en satin de soie ivoire damassé, application de perles, franges et rubans de soie, (commande d’une l’américaine), témoigne de la réputation longtemps conservée auprès d’une clientèle étrangère.
Autre invention de Charles Frederick, la « Tea gown », robe d’intérieur adoptant souvent la ligne princesse. Le modèle, ligne épurée en drap de laine ivoire, se pare de broderies de perles et d’applications de cordonnet et rubans de soie.
Particulièrement spectaculaires, pour le soir, les manteaux et capes s'ornent de « bouillonnements d’étoffes ».
Ces deux modèles en donnent la parfaite illustration virtuoses :
L’un en soie rouge, dentelle noire et application de rubans en organza,
L’autre de soie gris, fleurs en toile de coton mauve et vert, large pli plat du dos à la française (évocation des robes XVIIIe siècle à la « Française ») , garniture bouillonnée typique du travail de Jean-Philippe Worth.
La Pythie :
Cette sculpture de Marcello, Adèle d’Alfry, duchesse de Castiglione Colonna, illustre la relation amicale, teintée d’admiration respectueuse nouée entre la sculptrice, cliente fidèle, et le couturier collectionneur. Charles Garnier en fera l’acquisition pour décorer le grand escalier de l’Opéra inauguré en 1875.
Passons aux déguisements et nombreux modèles aux références historicistes, caractéristiques des dernières décennies du siècle.
Ces tendances persistent chez Worth malgré les évolutions de la mode du siècle finissant.
Inépuisable source d’inspiration, déclinés de la Renaissance jusqu’au XVIIIe siècle, les modèles exposés en offrent une multitudes d’exemples souvent créés à l’occasion des grands bals costumés de Paris, Londres, New-York.
Sur cette précieuse robe de bal de velours coupé marron, portée par Madame Pécoul au bal de la princesse de Sagan, admirons ces manches à crevés ornés de perles.
Avec ce col en guipure à pointes, voici un col Louis XIII sur cette « opulente » « tea-gown » à manches gigot en vogue dans les années 1890,
En référence aux portraits flamands du XVII e siècle,
Porté par la princesse de Metternich, ce ravissant corsage de travesti joue de l’opposition du satin noir et de l’éclat blanc du col et poignets de fine dentelle.
Que dire du charme androgyne de cette veste d’habit d’homme, datée vers 1780, en cannelé de soie brodée de fleurs « féminisée » d'un gilet baleiné.
Pour conclure cette séquence, encore deux exceptionnelles toilettes de bal costumé :
fastueux costume de Zénobie, reine de Palmyre, porté par la duchesse de Devonshire, lors du bal donné à Devonshire House pour le jubilé de diamant de la reine Victoria en juillet 1897.
Sommet de l’art du costume et de la somptuosité, ce travestissement de Walkyrie, créé par Worth en 1891, en velours de soie vert, broderies de fils métalliques, perles, verroterie, satin de soie jaune et saumon, traîne en velours pékiné brodé de paillettes, velours de soie rouge dentelle or.
Ainsi l'évoque André de Fouquières, homme de lettres, « Ce fut une véritable entrée à sensation que celle de Madame de Bernadaky à un bal costumé… où elle apparut, minuit sonnant, drapée et costumée en walkyrie dans l’épanouissement de sa beauté ».
La salle suivante « Clientes et moments d’exception » nous porte au nadir de l’éblouissement.
Révélatrices de l’infini talent du couturier, de l’étendue de son influence à l’échelle internationale,
Là sont réunies, dans l’éclat de leur raffinement extrême, les toilettes de cour portées par tout le Gotha européen, les plus grandes clientes privées de la maison Worth, dont la Comtesse de Greffulhe.
Elles défilent parfaitement présentées, traînes déployées en un long cortège étourdissant.
Cette robe de cour que l’épouse de Lord Curson, nommé vice-roi des Indes 1891 a été exécutée à Paris par la maison Worth. Les broderies de fils métalliques et de cristaux, appliquées en Inde, illustre la manière dont Lady Curson entendait porter des « toilettes politiques ».
Autre figure marquante, Francesca Florio, épouse de l’armateur sicilien Ignazio Florio.
En 1902 elle devient dame d’honneur de la reine Hélène, épouse du roi Victor Emmanuel III.
Créé à cette occasion, son ravissant manteau de cour, en satin de soie doublure bordée de fleurs délicatement brodées, fut ensuite porté à Vienne, à la cour de François -Joseph, et à Berlin, à la cour de Guillaume II.
La collection de toilettes mythiques de la comtesse de Greffulhe, inspiratrice de la duchesse de Germantes de Proust, rappelle l’exposition que lui consacra le musée Galliera (Lulu de novembre 2015).
Théâtrale, la robe de soir dite « robe au lys » en velours de soie noire, incrustations de soie duchesse blanc ivoire, cordonnets de fils métalliques, broderies de perles paillettes strass. de 1806.
Hiératique, bordée de zybeline, sa fameuse toilette de cérémonie dite « byzantine » portée lors du mariage de sa fille Elaine avec le duc de Guiche en 1904.
Elle concentra tous les regards et fut évoquée par la presse française et étrangère.
La cape russe velours de soie violet broderies de fils métalliques, tulle de coton, et tulle métallique lamé or, doublure de satin jaune, relève de la même somptuosité. Taillée par Worth dans un manteau d’apparat de Boukhara, offert par le tsar Nicolas II, elle témoigne de l’éclectisme de sa propriétaire et du savoir-faire du couturier.
Non moins étonnante de préciosité, sa tea-gown de soie façonnée à fond de satin vert et motifs de velours coupé bleu.

Couturier du Gotha, les créations de Worth contribuèrent largement aux fastes et pompes des cours d'Europe.
Toujours précurseur, il exposa dans ses vitrines la garde-robe des Tsarines avant leur expédition en Russie entretient des liens étroits avec les cours d'Espagne et du Portugal.
Très apprécié de l'aristocratie britannique, il ouvre une succursale à Londres,, au tout début du XXe siècle, dans la perspective du couronnement du roi Edouard VII.
Seul exemple d’illustration, non des moindres, pour son couronnement en reine de Hongrie l’impératrice d’Autriche (Sissy) pose dans une robe de Worth sur le portrait d’Emil Rabending.
Association au Sommet : Worth et Cartier.
Voisins rue de la Paix, Charles Frederick Worth et François Cartier nouèrent des liens qui se renforcèrent au cours des ans avec les mariages de Louis Cartier et Andrée- Caroline, fille de Jean Philippe en 1898, puis celui de Suzanne Cartier, sœur de Louis, avec Jacques fils de Gaston en 1907.
liens indéfectibles malgré le divorce de Louis et Andrée-Caroline.
Partageant le même goût pour le style XVIIIe siècle, en 1902, les deux maison ouvrirent à Londres, sous le même toit, au 4 New Burlington Street.
Une succursale pour répondre aux attentes d’une nombreuse prestigieuse clientèle
dont la comtesse de Hohenfelsen fut la plus représentative.
L’aube du XXe siècle marque une rupture dans la mode.
Poiret en fut l’initiateur et le roi incontesté.
Conscient de cette évolution, centrée sur une première libération du corps féminin, Gaston Worth, dont la maison conserve tout son prestige, engage Poiret en 1901.
Prématuré, se heurtant à l’incompréhension de Gaston et de sa nombreuse clientèle, la collaboration pris fin en 1903.
Mais le style Poiret s’imposa bientôt.
Worth ne put échapper à son influence tant se ressemblent ces deux manteaux- kimono agrémentés de soutaches et pompons de passementerie.
Autour de 1910, un retour au style Premier Empire confère une ligne fuselée à la silhouette féminine.
Elle ne manque pas de séduire des actrices à la renommée internationale, telle Ida Rubinstein, (célèbre danseuse des ballets russes) portant sur ce portrait du peintre mondain de La Gandara une longue robe de Worth soulignant sa gracieuse et fine silhouette et nous permet d’admirer la dentelle arachnéenne de son étole déployée.
Ces mêmes années, dans la « Gazette du bon ton » Sem, célèbre caricaturiste, consacre tout un article « Au vrai et faux chic » dans lequel les frères Worth sont les rares représentants d’un «vrai chic parisien» :
« ...Ils continuent la tradition de leur noble maison en la rajeunissant d’une fantaisie moderne … »
Autre signe de l’adaptation de la maison aux nouveaux modes de vie, cette modernité se retrouve sur ce rare modèle de tailleur de jour en drap de laine et passementerie marron de 1913.
Durant la Première Guerre mondiale, la maison se consacre à des œuvres de bienfaisance, et se transforme en Hôpital comme le précise le cartel.
« Artilleur », « Mobilisé » sont les noms de modèles conservés aux Archives de Paris, non exposés.
Une de planches signées des plus grands dessinateurs de ces années reproduisent les créations de ces années.
Place aux « Années folles ».
Si le nom de Worth demeure indissociable du monde des crinolines et de « la Belle Epoque »,
On a un peu oublié sa place dans les années vingt dominées par l’émergence d’une nouvelle génération
de créateurs : Lanvin, Patou, Chanel pour ne citer qu’eux.
Loin de passer à côté de l’évolution de son temps, la maison Worth, désormais dirigée par Jean-Charles, révèle à nouveau le sens aigu d’une parfaite élégance adaptée à la modernité ambiante.
Subtilité des modèles du soir , telle cette robe « bleu Worth », couleur emblématique devenue « fétiche » jouant des transparences et de l’asymétrie des longueurs.
Proche des artistes contemporains, grand amateur de l’Art déco, Jean-Charles initie une collaboration avec Jean Dunand ou Raoul Dufy.
De Dunand, voici cet éblouissant manteau, maîtrise magistrale des superpositions de matières et des transparences.
De la même veine, cette robe aux poissons, satin vert lamé or sur fond rose
Le chic des broderies, donnent tout leur caractère de luxueuse sobriété aux modèles ci-dessous :
Strass et tubes de verre sur la hanche.
Motifs stylisés de perles de verre noires et blanches aux épaules et sur le devant illuminent cette robe noire.
Outre ces splendeurs pour le soir,
Quelques photos venues des Archives de Paris rappellent à bon escient l’utilisation du jersey pour les tenues de jour.
Dans l’air du temps, portées par mannequins longilignes, allure décontractée , les ensembles imposent le style sport chic de la maille.
Teinté d’humour, cet inventif travestissement « parapluie » renoue avec le goût du déguisement
Autre spectaculaire manifestation des affinités de Jean-Charles pour l’Art déco : l’hôtel particulier qu’il fit construire à Neuilly dans les années trente.
Des décennies avant Yves Saint Laurent, sidérantes d’audace, provocatrices, suivent ces photos de Man Ray pour lesquelles Jean-Charles, mariée et père de quatre enfants, pose entièrement nu vers 1925, 1930.
Les années folles …
Peu de notes explicatives accompagnent la vitrine consacrée aux parfums.
Créé pour « La Nuit » Un bel ensemble Lalique, flacon lotion et boite retient l’attention.
Nous voici au terme de ce parcours.
Révélateur de l’ exceptionnelle pérennité d’une grande maison perpétuée durant trois générations,
Sans déroger jamais à l’excellence alliée à un sens infaillible de l’élégance,
Fondée par Jean-Charles, « Inventeur » de la Haute Couture,
Toujours dirigée et détenue par la même famille,
Elle a su briller et perdurer durant presque un siècle.
Quand aujourd'hui se succèdent, dans un incessant jeu de chaises musicales, les nominations de stylistes à la tête des maisons,
Worth demeure un symbole sans pareil,
Fascine par l’étendue et la diversité de ses créations,
Comme le confirme ce dernier ensemble de 1954.