Deux siècles d'histoire.
Cette exposition, qui couvre presque deux siècles de l’histoire de l’orfèvrerie, ne compte pas moins de 1000 pièces exposées.
N’ayez crainte, toutes ne feront pas l’objet de commentaires.
Débuté par la présentation emblématique du surtout en métal argenté, ( seule pièce d’un service de 4700 pièces ) commandé par Napoléon III rescapé de l’incendie des Tuileries durant la Commune,
Le parcours se referme sur un dernier surtout, « Ode aux origines », créé en 2024 par le jeune Jean-Pierre Dubreuil, associant au métal argenté, cristal de roche et miroir.
Dernière illustration contemporaine d’un savoir-faire intact ; il a nécessité plus d’une année de travail.

A l’opposé de cette « tradition » perpétuée, une étincelante boite à sneakers présentée dans la première salle témoigne des changements radicaux dans l’expression du luxe. ...
En acquérant le brevet de l’électrolyse en 1845 (le courant électrique permettant de recouvrir un métal non précieux d’une couche d’or ou d’argent) Charles Christofle, bijoutier de son état, et ses successeurs, vont« révolutionner » l’art de l’orfèvrerie.
Pédagogiques et fort instructifs, on découvre tout d’abord les procédés de fabrication.
La reconstitution d’un atelier, de courtes vidéos descriptives méritent l’attention du visiteur.
Des objets servent d’illustrations aux différentes manipulations du métier.
Exemple parmi d’autres d’un savoir-faire jadis entièrement exécutée à la main, maintenant en partie remplacé par des machines, ce seau « Dellipse » (2023) obtenu par «restreinte », une mise en forme au marteau, en buis, sur une « bigorne », petite enclume à une ou deux têtes.
Aujourd’hui située en Normandie et employant 150 orfèvres, la Maison Christofle, depuis sa fondation, faisait travailler jusqu’à 1600 personnes dans ses quatre manufactures successives, la première située près de la Place de la République.
Au passage, seule cette délicate bonbonnière en filigranes d’argent, un croquis de parure rappellent le talent de
« bijoutier » de Charles Christofle déjà récompensé lors des expositions des produits de l’industrie française.
Devenue bien moins onéreuse, elle pourra s’adresser à une clientèle plus large.
A la mort de Charles en 1860, lui succèdent son fils Paul et son neveu Henri Bouilhet, un brillant chimiste et historien de l’orfèvrerie, bientôt à la tête du futur Musée des Arts Décoratifs.
Fruit d’un contrat passé 1887 avec l’Union centrale des arts décoratifs dans un but commercial, est présentée la collection de reproductions d’orfèvrerie de l’Antiquité à nos jours. Notons cette impressionnante copie de l’armure d’Henri II .
Dès 1852 Henri Bouilhet perfectionne la galvanoplastie :
Par l’électrolyse le cuivre se dissout dans un moule ouvrant la possibilité de réaliser des pièces creuses monumentales qui n’ont plus qu’à être assemblées, argentées, dorées.
Bien moins lourdes qu’une fonte de bronze, elles permettront de créer garde-corps, grilles, portes, et sculptures dont les torchères du grand escalier de l’Opéra Garnier.
Dans la seconde moitié du XIXe, L’Historicisme, met au goût du jour les références au XVIIIe siècle . Pour Christofle, une source d’inspiration riche et variée, réalisée à nouveau par galvanoplastie.
Elle s’illustre sur ce monumental vase en Sèvres sur monture de cuivre.
Dans la « surcharge » de ciselures dorées de cette table de boudoir dessinée par Reiber-scupltures de Carrier-Belleuse et Jules -Joseph Chéret- d’après le modèle d’Adam Weisweiler livré à Marie-Antoinette
Ainsi que dans de nombreux services à thé, tel celui de style Louis XVI.
Autre thème alors en vogue, celui de l’Antique, suscité par la découverte du trésor d’Hilddesheim, en Allemagne.
Voyez ce splendide « vase des arts » surmonté par une Minerve victorieuse. Il s’orne d’une frise de feuilles de chêne et de laurier, et combine des patines rouges et noires par résultats des réactions chimiques du cuivre.
Monumental aussi, mais de forme étrusque, le vase « Ode à Anacréon » dessiné par Reiber, décoré d’incrustations de métaux colorés, « damasquinure », obtenue par une invention de Christofle présentée à l’Exposition universelle de 1867.
De la même veine, admirons ce service à liqueur « Peau de lion » signé Rossigneux qui reprend le motif issu de la mythologie grecque (le lion de Némée combattu par Hercule) et la superbe fontaine à rafraîchissement de Marcel Eudes et Claude Leprètre.
Enfin, toujours de Charles Rossignex, voici cette ravissante « athénienne » en métal argenté.

Plus inattendu mais irrésistible d’inventivité grivoise, datant de 1882, le croquis du « Lit de Nabab » Sadiq Muhammad Khan IV. Réalisé en argent massif, véritable tour de force technique, les quatre femmes automates, en bronze peint de couleur chair, coiffées de cheveux naturels, avaient des yeux et des mains mobiles pour agiter éventails et chasse-mouches au rythme d’airs musicaux.
Délices assurées.
Le Japonisme chez Christofle donnera naissance à d’innombrables créations réunies dans une des salles les plus spectaculaires de l’exposition.
Leur profusion, leur diversité suscitent amusement et admiration. Ici rivalisent virtuosité, beauté des formes, , folklore pouvant atteindre au kitsch.

Splendide, cette torchère « Gourde et vignes grimpantes » d’une paire pièce en émail cloisonné les plus importante jamais réalisée en Europe, plus tard surmontée de bras de lumières

Jardinière sur trépied »Vol de cigognes au-dessus des eaux de la mer » de Reiber
Ce cache-pot carré « Poissons », ce vase « Forme poisson » ou la gracieuse cafetières « Bambou » à côtes incrustées.
Un ensemble de créations signées Reiber.
Enfin comment ne pas sourire devant les torchères « Japonaises » du sculpteur orientaliste
Emile Guillemein.
Grimpons un étage ou nous attend un autre siècle de création.
Voici venu l’époque de L’Art Nouveau .
A l’exposition universelle de 1900 Christofle présente un stand dominé par la courbe, l’inspiration végétale puisée dans la nature, caractéristiques de ce « renouveau ».

Un ramasse-miettes en forme de « Feuille de paulownia »

Le légumier « La soupe
aux choux » de Léon Mallet,

La soupière Celeri » de Joseph-François Joindy,

La lampe électrique « Pivoine » d’Auguste Arnoux

Le vase « Iris » d’Auguste Mallet
Autant d'exemples révélateurs d'une créativité follement imaginative et virtuose faisant appel à des artistes de plus en plus nombreux.
Comment ne pas s’étonner aujourd’hui des innombrables accessoires proposés en cette fin de siècle pour chacun des moment du repas destinées à une bourgeoisie triomphante désireuse de paraître et d’afficher son opulence.

Multitude et diversité d’usage relèvent d’une créativité sans limites.
Invention breveté par Christofle, la pince à salade,

Elégant, ce gracieux présentoir à raisins

« Exotique » cet éléphant « Porte cure dents » à vocation hygiéniste.
Très représentative de l’évolution vers la modernité chez Christofle dirigée alors par Tony Bouilhet (petit-fils d’Henri).
Présentée en 1925 lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs elle porte la marque du style Art Déco par la géométrisation des formes, la sobriété des décors. la superbe table à thé de marbre et métal argenté de Luc Danel.
Directeur artistique de la maison, il s’entoura des plus grands décorateurs : André Mare, Paul Follot, André Groult.
Le développement des voyages et du tourisme pour une élite ouvre un autre chapitre glorieux de l’histoire de Christofle fournisseur de nombreux palaces (Crillon, Meurice, Negresco).
Pour la Compagnie générale transatlantique, cliente depuis 1850, en 1935 la maison Christofle créera un service de 45000 pièces de couverts « Atlas » et de la collection « Transat » pour les premières classes du paquebot Normandie.
Créé par Luc Lanel, aux formes épurées, il sera repris plus tard pour le Liberté et le France.
A l’hôtel Ritz, en harmonie avec le décor, ce sera un service de style Louis XIV aux formes contournées, baptisé « Régence ».
Le complètent, afin de répondre aux exigences du confort moderne, des réchauds électriques.
Privée de métaux pendant la seconde guerre mondiale, Christofle ouvre en 1942 une Galerie d’art rue Royale.
Dans un audacieux mélange, peintures et dessins côtoient les assiettes dessinées par de nombreux artistes. Entre autres Cocteau, Vassarely, Villon.
Design italien.
Une longue amitié lie depuis 1925 Gio Ponti et Henry Bouilhet.
Elle donnera lieu à une étroite collaboration célébrée notamment à l’occasion de l’exposition rue Royale de 1957
« Formes et idées d’Italie ».
Emblématiques de ces lignes d’avant-garde, le candélabre « Flèches » le masque « Il Diavolo », les couverts « Hommage à Fernand Léger.
L’ouverture de la manufacture de Yanville en 1971, la modernisation des outils de production initiées par Albert Bouilhet, la direction artistique assurée par son frère Henri, marquent un tournant radical dans les créations, résolument modernes.
Mieux adapté au nouveau style de vie, l’emblématique oeuf « Mood », version contemporaine de la traditionnelle ménagère, connaît un succès jamais démenti depuis 2015.
L’inox fait son apparition, le plastique sert aussi d’ornement à ces couverts à salade et cette boite à amandes.
Traditionnel, le service à thé permet aussi de radicales évolutions :
Le caoutchouc s’harmonise au métal argenté pour « Dip »,
Les lignes aérodynamiques caractérisent le modèle « Diagonale ». Une cafetière dénommée « Gémeaux » se singularise par son double bec verseur.
Parmi les nombreux designers internationaux sollicités par le Studio, citons le japonais Ora Ito créateur de la collection « Arborescence ».
De forme plus baroque, le français Christian Lacroix propose « Eternellement », couverts à gâteaux.
A l’ opposé, Andrée Putman équipera d’une service au style dépouillé la première classe rénovée du Concorde.
La disparition du « service à la française » (chacun des convives va se servir) au profit du « service à la russe »,( les plats sont présenté individuellement à chacun des convives) permet de remplacer cloches, réchauds etc, par des surtout, corbeilles jardinières, candélabres, groupes décoratifs sculptés.
Dès 1840, la variété des décors et des formes de la maison Christofle avaient séduit le roi Louis-Philippe et sa famille.
Une distinction à la longévité sans pareil.
Elle poursuivra sous les Bourbon, le second Empire, là troisième République, et perdure encore aujourd’hui.
Dans la dernière salle, sous nos regards émerveillés , s’exposent ces fastes diplomatiques, reflets du pouvoir.
Associant Baccarat pour la verrerie, Sèvres pour la porcelaine. excellence et perfection brillent de leur feu sur la longue table du ministère de l’agriculture du commerce et des travaux publics.
Elle date de la fin du XIXe. Affirme le pouvoir de la jeune république.
Et la jardinière « Les quatre parties du monde », acquises à l’occasion du centenaire de la Révolution française pour les nouvelles salles de fêtes de l’Elysées réaménagées.
Toujours en service pour les grands dîners d’état à l’Elysée, on les remarque sur des photos récentes : lors de la réception de sa majesté la Reine Elisabeth II, sous la mandature de Jacques Chirac en 2004
Sous la mandature du Général de Gaulle en l’honneur du Sénat, en 1959 .
Si le surtout « Ode aux origines constitue la dernière création de la « Haute orfèvrerie, le dépouillement du service « Vertigo » d’André Putman présenté en miroir des tables d’apparat, son flambeau de table du même nom,, reflètent une simplification réduite à l’essentielle des tendances actuelles.
Christofle toujours témoin de son temps n'a rien perdu de son actualité.